Faire payer plus les personnes qui prennent beaucoup l’avion : dans quelle mesure est-ce réaliste (et juste) ?

Après près d’une décennie de négociations, il existe un accord mondial visant à réduire de manière drastique les émissions de l’aviation. D’ici à 2050, les émissions nettes devraient être nulles, c’est-à-dire que le transport aérien n’émettra plus de dioxyde de carbone supplémentaire dans l’atmosphère. Pour atteindre cet objectif, les compagnies aériennes, les avionneurs et les gouvernements devront investir des centaines de milliards dans des appareils toujours plus efficaces et des carburants plus propres. Et même ces investissements ne suffiront probablement pas, ce qui pourrait nécessiter des politiques visant à limiter les vols eux-mêmes. Une première mesure a déjà été suggérée : faire payer davantage les personnes qui prennent beaucoup l’avion. Est-ce réaliste ?

Les émissions de l’industrie aéronautique ne sont pas abordées par l’Accord de Paris, l’accord de 2015 entre les nations du monde pour lutter contre le changement climatique. Au lieu de cela, un organisme semblable à l’ONU, l’Organisation de l’aviation civile internationale, a supervisé les négociations sur les objectifs climatiques du secteur. Ces discussions se sont rapidement transformées en joute politique. Les pays moins prospères, par exemple, ont fait valoir qu’ils ne devaient pas être soumis aux mêmes restrictions que les pays plus riches. L’Inde et la Chine, où le trafic aérien connaît encore une croissance spectaculaire, ont fait valoir au cours des discussions que leurs compagnies aériennes ne parviendraient pas à des émissions nettes nulles avant 2060 ou 2070.

L’objectif de 2050 n’est donc en aucun cas une garantie de succès. À l’instar de l’Accord de Paris, ce traité n’assigne pas d’objectifs à des pays ou à des compagnies aériennes spécifiques, laissant aux États membres la tâche de fixer des règles pour limiter les émissions. Et cela signifie qu’ils devront tenir tête à leur population, car malgré les efforts des militants et des climatologues, il est peu probable que la plupart des gens veuillent renoncer à prendre l’avion.

Un vol aller-retour pour Malaga = pas de viande pendant un an

L’aviation a une empreinte carbone énorme, inégalée par toute autre action individuelle. Un vol aller-retour de Bruxelles à Malaga, par exemple, émet 335 kilogrammes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Pour compenser, il faudrait, par exemple, ne pas manger de viande pendant un an. Un vol aller-retour à New York équivaut à plus de deux ans sans viande. Ou encore : à cause de ce vol que vous prenez à destination et en provenance de Malaga, deux mètres carrés de glace de mer vont disparaître. Ceux qui prennent un vol aller-retour pour New York feront fondre un peu moins de sept mètres carrés. Nos habitudes de vol font disparaître chaque année au moins 6.000 kilomètres de glace de mer, soit environ un million et demi de terrains de football.

Le problème est qu’en Europe et aux États-Unis, seuls 12 % des personnes prennent 66 % des vols. Selon les estimations du Conseil international pour le transport propre (ICCT), les 20 % les plus riches de la population mondiale représentent 80 % du trafic aérien. Les deux premiers pour cent des grands voyageurs prennent environ 40 % des vols. (Les pays à faible revenu représentent 9 % de la population mondiale, mais seulement 0,4 % des vols mondiaux).

Les grands voyageurs devraient cracher 121 milliards par an

La solution semble évidente : une taxe mondiale sur ceux qui volent le plus – dont le produit pourrait être utilisé pour financer la recherche et le développement de carburants d’aviation sans émissions. L’ICCT suggère une taxe sur les grands voyageurs à partir du deuxième vol que chaque individu prend par an, au taux de 9 euros. Cette taxe augmenterait progressivement au fur et à mesure que l’on prendrait l’avion, jusqu’à 177 euros, par exemple, pour le 20e vol de l’année – dans ce cas, un « vol » n’est pas un aller-retour – donc 20 vols signifient 10 voyages. Pour la plupart des Européens – qui prennent deux vols ou moins par an – la taxe coûterait à peu près la même chose que d’acheter une boisson et un paquet de chips à l’aéroport. Mais les voyageurs d’affaires et autres grands bourlingueurs qui réservent des dizaines de vols tous les 12 mois devraient faire face à des coûts plus élevés.

Selon l’étude, une telle taxe pourrait financer entièrement la transition des combustibles fossiles vers un carburant pour avion durable. Selon l’OACI, l’agence des Nations unies qui coordonne le transport aérien international, le passage aux carburants renouvelables et les autres améliorations de l’efficacité des avions coûteront environ 121 milliards d’euros par an jusqu’en 2050.

Une bonne idée sur le papier, mais pas vraiment réalisable

Cela semble être une solution élégante. Cependant, il y a un certain nombre de lacunes dans ce scénario.

  •  Tout d’abord, il n’existe pas vraiment d’alternatives de transport pour les vols moyens et long-courriers (de plus de trois ou quatre heures). En Europe, ce n’est pas trop grave dans l’ensemble, mais en Asie et aux États-Unis, réduire les vols signifie que l’on s’abandonne à une vie sans voyages internationaux et sans la possibilité de rendre facilement visite à ses proches dans tout le pays.
  • Un autre problème est la mise en œuvre d’une taxe mondiale. Outre le fait qu’il faudrait obtenir l’accord de tous les pays du monde, ce système nécessiterait une coordination internationale et un système centralisé pour suivre les passeports et autres formes d’identification afin de compter le nombre de vols de chaque personne.
  • Et puis, il y a le fait qu’une telle taxe pourrait ne pas être aussi sociale qu’il n’y paraît à première vue. Un travailleur étranger travaillant ici, par exemple, devrait imposer le même montant pour le troisième ou quatrième vol par an quand il va rendre visite à sa famille que quelqu’un qui part en vacances pour la troisième ou quatrième fois de l’année. Et la taxe sur les grands voyageurs, telle qu’elle est proposée actuellement, ne tient absolument pas compte de la distance parcourue, alors que nous savons que les plus riches prennent des vols plus longs.

C’est donc une bonne idée sur le papier, mais pas vraiment réalisable.

(JM)

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