La flotte russe de la mer Noire fait tout ce qu’elle peut pour bloquer les ports ukrainiens, ce qui entrave le commerce mondial des céréales et des engrais, entre autres. Le port d’Odessa, en particulier, doit être en mesure de reprendre ses activités commerciales si l’on veut sauver les réserves de céréales de cette année.
Entre le 25 avril 1915 et le 9 janvier 1916, les soldats alliés de la France et de l’Empire britannique ont combattu l’Empire ottoman dans la péninsule de Gallipoli, sur les rives des Dardanelles. Les deux camps ont subi de lourdes pertes, et la résistance ottomane s’est avérée plus forte que prévu.
La cause directe de l’expédition de Gallipoli était également le blocage des exportations de céréales. Lorsque l’Empire ottoman rejoint le camp de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, il commence rapidement à bloquer les exportations de céréales de l’Empire russe, qui prenaient la route de Méditerranée via la mer Noire et les Dardanelles. Plus d’un siècle plus tard, la même chose se produit à nouveau, bien que les blocages se situent désormais beaucoup plus au nord : au large des côtes de l’Ukraine.
Des récoltes destinées à pourrir
Dans le port ukrainien, la situation est « pourrie », littéralement. « Les silos à grains sont presque pleins, et il n’y a pas assez de place pour la récolte de cette année. Si nous ne pouvons pas les stocker, les céréales pourrissent », explique Andrei Stavnitser, propriétaire de la société ukrainienne TransInvestService, le plus grand opérateur portuaire privé du pays. Il considère même la levée du blocus comme aussi capitale pour le pays que les livraisons d’armes.
L’Europe a déjà commencé à proposer une alternative : une exportation de céréales (et d’autres marchandises) par voie terrestre, par camions ou par trains, a été mise en place, mais cette filière ne peut traiter qu’une fraction des exportations ukrainiennes. Des moyens de briser le blocus, ou de convaincre la Russie de le lever, sont également sur la table. Ce n’est que par le biais du transport maritime que le commerce ukrainien pourra réellement se remettre sur pied.
Escortes
Plusieurs idées sont sur la table, comme celle de faire escorter les cargos par des navires de la marine. Stavnitser évoque un convoi organisé par les Nations unies et escorté par des navires de la marine turque. James Stavridis, commandant de l’OTAN entre 2009 et 2013, est également sur la même ligne. Il suggère de s’inspirer des missions américaines de protection des pétroliers dans le golfe Persique au cours des années 1980.
Cependant, ce plan a également des opposants, dont James Foggo, un ancien amiral américain qui a dirigé la flotte de l’OTAN en Méditerranée jusqu’en 2020. » La différence : l’Iran n’était pas une puissance nucléaire, la Russie l’est. Il y a maintenant un risque d’escalade », souligne M. Foggo.
Toutefois, si ce plan est mis en œuvre, il devra avancer en terrain miné. Littéralement même : l’Ukraine a disséminé des mines au large des côtes pour rendre impossible un débarquement russe. Du côté russe également, de nombreuses mines ont été posées, rendant le passage vers les ports (comme Odessa) presque impossible. L’OTAN elle-même a également indiqué qu’elle ne voulait pas supporter les risques de ce plan, qui pourrait entraîner une escalade vers la guerre ouverte.
La question des détroits
En matière de législation également, l’Occident est confronté à de nombreux problèmes. Depuis 1936, la Convention de Montreux détermine le nombre de navires de guerre pouvant passer par les détroits de Turquie (les Dardanelles et le Bosphore). En termes de tonnage, ce nombre est de toute façon limité, ce qui signifie que, par exemple, les porte-avions ne sont pas autorisés à passer par ici. Cependant, la convention comprend également une clause spéciale.
Selon l’article 19, la Turquie peut également fermer complètement les détroits aux navires de guerre en temps de guerre. Ici, le principe du tout ou rien s’applique : soit chaque pays peut faire passer ses navires, soit aucun pays ne le peut. Mais même si l’article 19 n’entre pas en vigueur (ou l’article 21 ; l’application de 19, ndlr), les États membres de l’OTAN y restent soumis. La convention stipule que les pays non riverains de la mer Noire ne peuvent autoriser leurs navires de guerre à naviguer dans cette mer que pendant une période limitée. Une mission de l’OTAN, à laquelle participent des navires des États-Unis, de la France ou de la Belgique, par exemple, doit donc disposer d’un grand nombre de navires en attente de rotation.
Toutefois, il existe encore une solution possible à ces blocages : Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a déjà laissé entendre, lors de son entretien avec Vladimir Poutine, que les sanctions sur les engrais en provenance de Russie et de Biélorussie pourraient être quelque peu assouplies, si le président russe, en contrepartie, levait le blocus sur les livraisons de nourriture. Il pourrait également y avoir une motion à l’ONU qui garantirait la réouverture du port d’Odessa. Dans ce cas, la Russie doit également voter, et les chances qu’elle oppose son veto à la motion sont extrêmement élevées.