Ce n’est un secret pour personne que le président turc se veut le restaurateur de la puissance de son pays, et qu’il lorgne sur un grand projet nationaliste turc, tour à tour teinté de panturquisme et de nostalgie ottomane. Cela passe bien sûr par un rôle d’une importance croissante sur la scène internationale, mais aussi par une armée puissante, en tout cas dans le chef de Recep Tayyip Erdoğan. Mais du rêve à la réalité, il y a de nombreux obstacles, technologiques et stratégiques.
Le 2 juillet dernier, le président turc adressait un discours fort martial à l’Université de Défense nationale d’Istanbul: « Dans la construction d’une grande et puissante Turquie […] il n’y a aucune menace que l’armée ne puisse surmonter sur terre, en mer et dans les airs. Nous allons constamment renaître et franchir de nouvelles étapes jusqu’à ce que nous fassions des forces armées turques le numéro un mondial avec tous ses éléments, sa formation, son équipement, sa technologie et son expérience. » Des mots forts qui trahissent une ambition réelle de puissance, mais qui contrastent avec les moyens réels du pays.
Joli coup de pub en Ukraine…
L’industrie turque de l’armement avait toutefois bénéficié d’un joli coup de publicité ces derniers mois, ses drones Bayraktar TB2 ayant largement contribué à repousser la première offensive russe en Ukraine, en février et mars dernier. L’engin volant dispose de réelles capacités antichars, et ce, pour un prix bien moins élevé que les drones de haute technologie, ce qui a confirmé ce que beaucoup d’états-majors occidentaux craignaient : dans un conflit de haute intensité, les nouvelles générations de drones bon marché peuvent offrir une force de frappe aérienne efficace à des pays peu ou pas équipés en avions modernes, et ce, pour une fraction du prix et de l’entrainement du personnel.
Sauf que le Bayraktar TB2 n’est pas aussi turc qu’Erdogan aime à la penser : ses composants clés proviennent d’États membres de l’OTAN plus développés sur le plan économique, souligne le média spécialisé Military Watch Magazine. De manière générale, l’industrie turque n’a pas les moyens techniques de produire seule ses engins les plus prometteurs, à l’inverse de concurrents régionaux qui ont eux aussi choisi de développer des drones « low cost », en premier lieu Israël, mais aussi l’Iran, qui mettent un accent certain sur leurs programmes de développement.
… Mais une industrie sous perfusion étrangère
Un autre exemple de cette difficulté à développer un engin national sans aide étrangère n’est autre que le Altay T1, le futur char de bataille principal de l’armée turque, qui doit entrer en service en 2023. Cet enjeu de fierté national est en fait basé sur le châssis du char coréen Black Panther, et il sera achevé avec l’assistance et les transferts de technologie négociés avec la firme sud-coréenne Huyndai.
Ces problèmes de dépendance à l’étranger se voient aggravés par la situation délicate dans laquelle se retrouve parfois le pays sur la scène internationale suite aux décisions ou déclarations de son président. La Turquie a longtemps négocié la modernisation de sa force aérienne sous l’égide des États-Unis et de l’OTAN, mais le pays a été expulsé du programme de chasseurs de cinquième génération F-35, qui a contraint le ministère de la Défense à poursuivre l’achat de F-16 modernisés – le deuxième plus ancien chasseur au monde encore en production aujourd’hui et le chasseur occidental le moins cher encore fabriqué.
Isolement au sein même de l’OTAN
Et là encore, l’achat de nouveaux appareils a été bloqué, suite à l’intervention turque en Syrie contre les milices kurdes, mais aussi aux régulières déclarations menaçantes d’Erdogan envers la Grèce, autre pays de l’OTAN avec lequel demeurent des conflits territoriaux en mer Égée.
De toute évidence, si le président turc veut faire de son pays une puissance incontournable, au moins sur le plan régional, ses propres alliés ne le souhaitent pas particulièrement. Les États-Unis en particulier limitent la gamme d’armes auxquelles la Turquie a accès, en grande partie par peur de ce que le président turc, déjà champion de la nage à contre-courant au sein de l’OTAN, voire du chantage à l’encontre des pays candidats, pourrait en faire.