Engie réaffirme qu’une prolongation du nucléaire n’est plus possible en Belgique, mais sa lettre au Premier ministre ne tranchera pas le débat

Le top d’Engie a envoyé un courrier adressé au Premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD). La multinationale réitère ce qu’elle avait déjà acté après la lecture de l’accord de gouvernement de la Vivaldi: une sortie du nucléaire en 2025 est inéluctable. L’entreprise française se contentera aisément des subsides belges qui financeront les deux centrales à gaz qui lui ont été attribuées via le CRM. Engie est en position de force, et elle le sait.

Dans l’actualité: Engie met un coup de pression supplémentaire sur la Vivaldi.

  • Le président du Conseil d’administration d’Engie, Jean-Pierre Clamadieu, et la directrice générale de l’entreprise, Catherine MacGregor ont adressé un courrier à Alexander De Croo. Pour l’entreprise liée à Electrabel, il n’y a plus de plan B possible. Le plan A reste la sortie du nucléaire dès 2025.
  • Ce plan B, c’est la prolongation des réacteurs Doel 4 et Tihange 3. Mais selon Engie, une telle prolongation n’est plus envisageable pour une extension de vie de 10 à 20 ans. « Un tel projet nécessite un délai d’exécution que nous estimons à 5 ans en prenant en compte les études d’ingénierie et de sûreté, le dialogue avec les autorités, les processus législatifs et réglementaires et la réalisation même de l’investissement. Notre expérience de projets similaires nous a convaincus que ce délai est difficilement compressible. Dans ces circonstances, il nous semble impossible d’assurer la prolongation de l’activité de ces deux unités en 2025 », stipule la lettre.
  • Le MR tente de forcer un plan B depuis des semaines. Le président Georges-Louis Bouchez regrettait d’ailleurs que le rapport de la ministre de l’Energie Tinne Van der Straeten (Groen), sur la table du kern depuis vendredi dernier, n’en fasse même pas mention.
  • Alors que le MR était plutôt isolé sur cette question, le parti libéral a pu compter sur un nombre de soutiens grandissant. Le CD&V se montre inquiet quant à la sécurité d’approvisionnement et demande que débat soit laissé ouvert. Du côté des socialistes, c’est surtout l’augmentation potentielle des prix qui suscite l’appréhension, bien qu’une étude de l’UGent ait expliqué qu’une prolongation ou une non-prolongation ne ferait pas beaucoup de différences. Les prix dépendent surtout des conjonctures qui dépassent le cadre de la Belgique et de ses deux réacteurs.
  • Mais le symbole est là. Si la sortie du nucléaire coïncide avec une augmentation des prix, pas certain que l’électeur fera la distinction. Sans compter que des milliers d’emplois directs et indirects sont en jeu: le PS n’est pas dans une position confortable.
  • Du côté de l’Open VLD, également, le député Christian Leysen (Open Vld) a soumis un projet de loi pour modifier la loi sur la sortie du nucléaire, qui est nécessaire pour envisager une prolongation. Alexander De Croo, qui ne s’est pas positionné clairement en faveur ou en défaveur d’une sortie, a néanmoins soutenu sa ministre de l’Energie, comme il a pu le faire avec d’autres membres de son équipe dans d’autres dossiers.
  • Du côté d’Engie, on rappelle que même dans le cas d’une exploitation plus courte des réacteurs – ce qui accélérait sans doute le délai des procédures – « aucun précédent et aucun cadre réglementaire et technique n’est aujourd’hui en place pour mettre en œuvre [cette prolongation à exploitation plus courte]. »

L’essentiel: la lettre d’Engie ne tranchera pas le débat.

  • Un acteur énergétique qui ne veut pas prolonger des centrales nucléaires qu’il exploite peut étonner. Surtout quand on jette un oeil aux résultats financiers de juillet dernier. On peut constater que les résultats d’exploitation des centrales nucléaires en Belgique ont fortement progressé: de -107 millions d’euros au premier semestre 2020 à +178 millions au premier semestre 2021. Pour l’expliquer, Engie évoque une meilleure disponibilité des réacteurs. Il faut bien sûr y ajouter l’augmentation du coût de l’électricité qui a bondi en 2021.
  • Dans le cadre du mécanisme de rémunération de capacité (CRM), il est entre autres prévu de subsidier deux centrales à gaz, qui visent à compenser la sortie du nucléaire. Lors de la première enchère, Engie a tout raflé. Une centrale sera construite en Wallonie et une autre en Flandre. Selon les explications d’Elia, Engie proposait la meilleure offre.
  • On ne sait pas encore exactement de combien de subsides bénéficieront ces deux centrales. Mais dans son entièreté, le CRM devrait coûter autour des 250 millions d’euros par an, pendant 15 ans.
  • Pour le MR et son président Georges-Louis Bouchez (MR), la raison d’être de cette lettre d’Engie est toute trouvée: en plus des bénéfices de l’exploitation des centrales à gaz, l’entreprise pourra bénéficier des deniers publics. C’est une très belle compensation.
  • Alors qu’Ecolo se saisit de la missive pour appuyer ses arguments en faveur du plan A, le président du MR n’y voit pas une contradiction pour le plan B: « Engie ne dit pas qu’il est impossible de prolonger le nucléaire, mais bien qu’ils ne veulent pas et qu’il faut changer le cadre légal. Leur envie n’est certainement pas un élément pertinent pour décider du mix énergétique de notre Pays. Nous sommes disponibles pour changer le cadre législatif afin de raccourcir les délais tout en garantissant la sécurité. »
  • Le président de la N-VA, Bart De Wever, du même côté que le MR dans ce dossier. Il emploie d’ailleurs les mêmes arguments que Bouchez mot pour mot: « Il est évident qu’Engie préfère recevoir des subventions au gaz plutôt que de payer une taxe nucléaire. Si vous lisez attentivement la lettre, vous remarquerez cependant qu’une extension de centrales est parfaitement possible dans un cadre juridique plus souple. Travaillons ensemble maintenant dans l’intérêt de la sécurité d’approvisionnement. »
  • Engie est en tout cas en position de force: si une prolongation du nucléaire devait être négociée, l’entreprise française pourra se montrer offensive. Et dans le cas où le nucléaire tombe à l’eau, il reste toujours ces fameux subsides et l’exploitation des ces centrales à gaz.

Le détail: Le chemin de croix des centrales d’Awirs et de Vilvoorde.

  • Les centrales à gaz concernées doivent s’établir à Awirs en Wallonie et à Vilvoorde en Flandre. Pour la seconde, elle a fait l’objet d’un refus de permis de la part de la ministre flamande de l’Énergie, Zuhal Demir. Ce refus était politiquement écrit d’avance.
  • Cela chiffonne en tout cas Engie, comme le groupe l’écrit dans la lettre: « Nous sommes inquiets des difficultés rencontrées pour obtenir le permis régional environnemental de la centrale de Vilvorde alors que tous les avis des administrations provinciales et régionales compétentes étaient positifs. Nous restons déterminés à réaliser ce projet très compétitif, avec un impact environnemental réduit au minimum. Nous comptons lancer au plus vite une nouvelle demande de permis et avons besoin de l’appui des autorités pour pouvoir parcourir ce processus dans les meilleurs délais. »
  • Mais voilà, alors que la centrale wallonne d’Awirs partait sur les bons rails, elle fait l’objet d’un recours au Conseil d’État, écrit ce mercredi LPost. À l’origine de ce recours, on retrouve le mouvement citoyen « Dégaze ». Il se sent renforcé suite au gèle du projet d’une centrale à Seraing. Dans ses arguments, l’association met en avant la baisse des émissions de CO2 qui n’est pas garantie par de telles centrales. Des subsides ne peuvent financer des projets contraire à nos objectifs d’émission de 2030 et 2050. « Dégaze » se défend toutefois d’être pro-nucléaire, qui « ne donne pas une perspective d’un approvisionnement énergétique durable et sûr ».

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