L’Union européenne apprend lentement mais sûrement à se passer du gaz et du pétrole de Russie, mais ce n’est pas pour autant qu’elle s’affranchit de toute dépendance énergétique, bien au contraire. Et concernant le gaz, ses nouveaux partenaires ne sont pas forcément plus sains que ne l’était l’ancien.
Ce samedi a été inauguré un nouveau segment de gazoduc reliant la Grèce et la Bulgarie : un « changement de donne » qui libère la région de la dépendance au gaz russe selon Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne présente pour l’occasion. Un élément de plus dans le système qui vise à fournir à l’Europe de nouvelles sources d’approvisionnement, au grand dam de la Russie, mais au plus grand bénéfice de l’Azerbaïdjan.
Le nouveau fournisseur providentiel
Car l’Europe voit Bakou comme le nouveau grand fournisseur providentiel, et des pays comme la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie ou encore la Slovaquie voudraient bien orienter les fonds européens vers la concrétisation d’autres projets de ce genre afin de connecter leurs réseaux au gazoduc TANAP, qui achemine 16 milliards de mètres cubes par an de gaz azéri à destination de la Turquie, de la Grèce, de la Bulgarie et de l’Italie, et il est prévu de faire passer cette capacité à 20 milliards par an. « Je suis certain que cela permettrait non seulement au gaz azéri d’arriver en Bulgarie, mais aussi en Europe dans des volumes plus importants et soutiendra la sécurité énergétique du continent européen dans son ensemble » déclarait d’ailleurs ce vendredi le président du pays, Ilham Aliyev rappelle Euractiv.
Crimes de guerre
L’ennui, c’est que l’Azerbaïdjan n’est pas le pays le plus pacifique ou le mieux géré au monde : Ilham Aliyev était la « personne de l’année 2012 » du projet de rapport sur le crime organisé et la corruption (OCCRP), un regroupement de journalistes d’enquête et de centres d’enquête fondé en 2006. Et il a récemment relancé le conflit larvé entre son pays et l’Arménie, causant la mort de centaines de personnes, ainsi que des rumeurs de très graves exactions de la part des troupes azéries contre les prisonniers et les populations civiles.
Une situation gênante pour l’Union européenne, qui se trouve donc à rompre des contrats avec un président autocratique ayant agressé un pays voisin du sien, pour en signer avec un autre. Plus tôt cet été, le média européen avait demandé à la Commission européenne si quelque chose allait être mis en place pour s’assurer que les fonds de l’UE ne soient pas détournés ou ne servent pas finalement à nourrir la guerre. Un fonctionnaire de l’UE lui avait répondu que « l’UE n’exerce pas de contrôle sur les dépenses des revenus commerciaux du pays tiers provenant d’opérations commerciales légitimes de pétrole et de gaz avec les États membres de l’UE. » Le signe d’un certain malaise au niveau des institutions européennes.
D’un oppresseur mafieux à l’autre
» Il faut s’interroger sur la sagesse de la Commission européenne et des gouvernements de l’UE lorsqu’ils substituent leur dépendance au régime oppressif et belliqueux de Vladimir Poutine par une dépendance croissante à l’Azerbaïdjan autoritaire et belliqueux » a encore déclaré auprès d’Euractiv Fidanka McGrath, responsable du domaine stratégique chez Bankwatch. L’organisation a également noté que le gaz azéri n’est pas une véritable alternative au gaz russe en raison des liens avec Lukoil, qui extrait du gaz dans le pays et a divers intérêts dans son secteur gazier.
Outre ses tendances autoritaires et ses aventures militaires, l’Azerbaïdjan est aussi fortement frappé par la corruption, jusqu’à possiblement entretenir des lins avec le crime organisé jusqu’au sein de l’Union européenne. En 2017, la journaliste d’investigation Daphne Caruana Galizia révélait un accord entre ce pays et Malte pour l’importation de gaz de la société publique azerbaïdjanaise SOCAR, pour les dix prochaines années, à un coût deux fois supérieur au taux du marché. Cet accord, qui ferait perdre aux contribuables maltais des dizaines de millions d’euros chaque année, avait été approuvé la par Commission européenne. La journaliste a aussi accusé Michèle Muscat, épouse du Premier ministre maltais Joseph Muscat, d’avoir ouvert un compte au Panama pour y abriter des pots-de-vin versés par l’Azerbaïdjan, en échange de l’autorisation donnée à une banque azérie, la Pilatus Bank, de travailler sur l’île. Daphne Caruana Galizia a été assassinée le 16 octobre 2017.