Un drone américain abattu en mer Noire par l’aviation russe : comment cela pourrait changer les choses, et pas en faveur du Kremlin

Les USA perdent un drone, mais prouvent images à l’appui que les Russes sont responsables. Quand la bataille des images pourrait avoir des effets stratégiques.

Les faits : ce jeudi, le Pentagone a annoncé la perte d’un drone MQ-9 Reaper de General Atomics, qui s’est abimé en mer Noire, dans les eaux internationales, alors qu’il menait une opération de reconnaissance.

  • Les Américains ont blâmé des avions russes, les accusant dans un premier temps d’avoir envoyé deux chasseurs SU-27 pour mener une interception « de manière dangereuse et non professionnelle » en déversant du carburant sur le drone et en volant très près de lui. Ils ont précisé que le drone avait été survolé 19 fois par les avions russes dans la demi-heure précédant l’accident.
  • La Russie a d’abord rétorqué ce mercredi qu’il s’agissait d’un simple accident de pilotage qui a fait perdre le contrôle du drone qui, de plus, se déplaçait de manière directe et provocante en direction du territoire russe avec les transpondeurs éteints, et a violé les limites de la zone restreinte temporaire établie dans le but de mener l’opération militaire spéciale. »
  • Sauf que ce jeudi, le Pentagone a sorti un atout de sa manche : les drones Reaper sont bardés de caméras embarquées, et « l’incident » a été entièrement enregistré. Or, on voit bien sur ces images qu’un des SU-27 percute le drone. L’US Navy a également dévoilé les minutes de l’événement.

Ces images impliquent que l’appareil américain ne s’est pas abimé en mer tout seul. De ce point, on peut tirer deux récits possibles. Soit le pilote russe a volontairement éperonné l’engin (de 20m d’envergure et près de 5 tonnes, quand même), mettant au passage son appareil et sa propre vie en danger, pour ainsi l’abattre sans tirer de missile – ce qui aurait été visible sur tous les radars autour de la mer Noire. Soit il s’agit d’un pur accident suite à une manœuvre d’intimidation (d’un avion sans pilote) qui aurait mal tourné. Mais cela serait très péjoratif de sous-entendre une telle maladresse de la part des pilotes russes.

  • Les images des Américains démontrent d’ailleurs que le chasseur russe était armé d’au moins quatre missiles, tandis que leur propre engin était désarmé, se livrant à une simple reconnaissance au-dessus des eaux internationales.
  • L’action du pilote russe « a failli provoquer le crash des deux avions », a déclaré Pat Ryder, porte-parole du Pentagone, ajoutant que l’avion russe avait probablement été endommagé, mais qu’il avait tout de même pu atterrir.
  • Côté russe, on nie avoir perdu un avion, et on justifie l’affaire en blâmant des « activités de reconnaissance accrues contre les intérêts de la Fédération de Russie », pour reprendre les mots du ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou, qui s’est entretenu pour la première fois depuis décembre au téléphone avec son homologue américain.

Ce que ça implique : les Américains voudront bien sûr récupérer leur drone, si ça s’avère possible. Sauf qu’il se trouve en mer Noire, dont les détroits d’accès sont contrôlés par la Turquie, et dont l’accès est régi par la convention de Montreux. Or, celle-ci décrète leur fermeture à tout bâtiment militaire en cas de conflit dans la région.

  • C’est gênant pour les Russes, qui se trouvent dans l’impossibilité d’emprunter librement les Dardanelles.
  • Mais la situation pourrait s’aggraver encore si Ankara décrétait que l’US Navy a le droit de passer pour récupérer son drone – rappelons que les USA ne sont pas en guerre. Mais une présence maritime américaine en mer Noire serait un très gros caillou dans la botte de Moscou. Et les déclarations russes comme quoi il leur fallait aussi récupérer cet engin abattu ne vont clairement pas désamorcer la situation.
  • La Turquie quant à elle, qui se retrouve encore bien malgré elle au milieu d’un jeu de quilles explosives, s’est dite favorable à une « résolution raisonnable » de la question. Des rumeurs circulent : elle pourrait laisser passer des navires américains. Ankara n’a toutefois rien confirmé.
  • La situation change en tout cas largement la donne en mer Noire, alors que les Pays-Bas envisageaient de céder deux dragueurs de mines pour sécuriser les eaux côtières. Un transfert qui n’était envisagé qu’en 2025, après entrainement des équipages ukrainiens en partenariat avec la Belgique – en espérant qu’ils pourraient passer d’ici là. C’est maintenant encore moins sûr.
  • Certains observateurs ont évoqué la figure du « caporal stratégique » pour qualifier ce face-à-face aérien qui a mal tourné ; quand l’action (« la connerie » en termes militaires) d’un seul soldat suffit à produire des effets durables, et pas forcément prévus ni souhaités dans les états-majors. En général, cela implique d’être filmé en pleine action. Reste à savoir si ce « taran » (éperonnage en russe, censé être une manœuvre de la dernière chance en combat aérien) a été ordonné ou non au pilote.
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