Deux revues scientifiques reconnues viennent de retirer coup sur coup deux études chinoises consacrées à la génétique. Une décision prise après de nouvelles révélations sur les examens médicaux forcés subis par les minorités en Chine. Yves Moreau, professeur à l’UCL, tente de mener un grand combat de sensibilisation du monde scientifique.
Dans un monde universitaire où la publication dans une revue spécialisée de qualité fait office de consécration et de gage de respectabilité pour une étude, rien n’est sans doute plus infamant que la rétractation d’un article. Et c’est d’ailleurs rarissime : pour en arriver là, il faut qu’un grave manquement méthodologique soit tout d’un coup mis en évidence, ou alors une grave faute d’éthique. et c’est face à cette possibilité que deux revues scientifiques, International Journal of Legal Medicine et Human Genetics, toutes les deux relevant du groupe Springer Nature, viennent de retirer de leur base de données une étude chacune.
Profilage génétique
Ces deux études, publiées en 2019, proviennent de Chine et se basent sur l’analyse de centaines d’échantillons d’ADN afin de les corréler avec le phénotype (l’ensemble des caractéristiques physiques) d’une population, en particulier les traits du visage. Un sujet qui prête déjà le flanc à la polémique, et d’autant plus interpellant que ces travaux se sont avant tout basés sur des échantillons collectés dans les populations ouïghours. Une ethnie à majorité musulmane de l’ouest de la Chine, en proie à une répression croissante de la part de Pékin depuis plusieurs années. Le monde universitaire craint donc que ces échantillons d’ADN n’aient pas été collectés d’une manière conforme avec la déontologie médicale universellement reconnue.
Dans ces circonstances, et alors que la Chine est déjà accusée de mener des grandes opérations de profilage de ses minorités sous des prétextes médicaux, la question du consentement des sujets de l’étude est on ne peut plus légitime. Et les témoignages de grandes collectes contraintes d’échantillons sanguins dans la province à majorité ouïghour du Xinjiang renforcent les doutes.
Collectes de sang forcées
Selon The New York Times, les revues concernées ont bien sûr tenté de lever ces doutes : « Les documents fournis par les auteurs ne contiennent pas suffisamment d’informations relatives à la portée de l’étude pour que nous puissions rester confiants quant à la conformité des protocoles à nos politiques éditoriales ou aux normes éthiques internationales. »
Des centaines d’études douteuses
Mais ce n’est là qu’un début de ménage dans les innombrables publications scientifiques venues de Chine. Yves Moreau, professeur d’ingénierie à l’UCL, a analysé 529 études chinoises publiées entre 2011 et 2018 et a mis en évidence que, dans la moitié des cas, un des co-auteurs au moins était lié à la police, l’armée, ou au système judiciaire de l’Empire du Milieu. De quoi entrevoir un immense trafic de données issues de l’exploitation humaine, selon le professeur belge: « Les lignes sont vraiment claires. On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas, qu’on n’avait pas réalisé, ou qu’on n’avait pas d’influence sur ça. » Le professeur Moreau mène une grande campagne de prise de conscience des milieux de la recherche sur les conditions dans lesquelles les études chinoises sont parfois menées. Il a déjà alerté cinq revues scientifiques, preuves à l’appui. Quatre d’entre elles ont accepté de dépublier des travaux chinois douteux sur le plan de l’éthique. Une goutte d’eau, donc.
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