Après les chiffres triomphalistes de Dermagne (« qui ne sont que le mérite des Flamands »), le cd&v met le marché du travail sur la table : « Nous devons en faire la troisième réforme, à côté des pensions et de la fiscalité »

« Nous devons implicitement ajouter une troisième grande réforme aux grands chantiers des pensions et de la fiscalité : la réforme du marché du travail. » C’est ce que demande le cd&v, par l’intermédiaire du chef de groupe Servais Verherstraeten (cd&v) à la Chambre, mais aussi du ministre flamand de l’Emploi Jo Brouns (cd&v). Ce dernier a réagi vivement au message d’autocongratulation que le ministre fédéral de l’Emploi, Pierre-Yves Dermagne (PS), a envoyé ce week-end. Le socialiste y parlait d’un « nombre record de personnes sur le marché du travail », avec un taux d’emploi de 72,3 % pour l’ensemble de la Belgique. Mais Brouns s’emporte : « Les chiffres régionaux montrent que c’est uniquement le mérite de la Flandre. Bruxelles et la Wallonie, au contraire, sont restées sur le carreau ». D’emblée, le cd&v veut donc inclure le marché du travail dans les grands chantiers de réforme de la Vivaldi après Pâques, avec les pensions et la fiscalité, ce que le MR et Georges-Louis Bouchez réclament à cor et à cri depuis des semaines. « Mais cela peut se faire de manière implicite, non pas en modifiant le droit du travail, mais en récompensant le travail dans la fiscalité et en activant les personnes âgées dans les pensions », explique M. Verherstraeten.

Dans l’actualité : Les « records » avec lesquels Dermagne s’est enthousiasmé ce week-end reviennent comme un boomerang pour le PS.

Le détail : « Un optimisme très mal placé. Cette communication est inappropriée. Le défi reste extrêmement grand, et aujourd’hui, la Wallonie et Bruxelles ne font pas leur part de l’effort », a lancé le ministre Brouns, du gouvernement flamand.

  • « Nous allons reprendre contact avec Pierre-Yves de toute urgence, pour que le contact se passe un peu mieux. Parce que non, ce n’est pas vraiment évident, en ce moment », a déclaré Jo Brouns, le ministre flamand de l’Emploi, en parlant de son collègue fédéral et vice-premier ministre PS, Dermagne.
  • Les deux responsables sont censés se voir parce que leurs compétences se chevauchent : certaines parties de la politique du marché du travail relèvent du niveau fédéral, comme les allocations de chômage, mais d’autres, comme l’activation des chômeurs, relèvent du niveau régional. Ce week-end, Dermagne a (involontairement) remis le sujet dans les débats. Dans son communiqué, Dermagne parle :
    • « Des performances exceptionnelles du marché du travail, qui reste solide ».
    • « De toutes les mesures en faveur de l’emploi prises par la Vivaldi qui atteignent leur vitesse de croisière. »
    • « Du taux d’emploi qui augmente plus fortement en Belgique que dans les pays voisins. »
    • « Des plus de 190.000 postes de travail supplémentaires qui ont été créés en 2 ans. »
    • Et surtout : « Si la progression se poursuit à ce rythme, l’objectif d’un taux d’emploi de 80 % en 2030 est à portée de main. »
  • Cette communication a suscité de vives réactions. Tout d’abord, toute une série de spécialistes ont démenti les propos de Dermagne.
  • Parmi eux, Bart Van Craeynest, économiste au Voka, qui a souligné que depuis le début du gouvernement De Croo, l’écart du taux d’emploi entre la Flandre et la Wallonie n’a fait que se creuser : la Flandre a gagné 2,8 %, la Wallonie seulement 1,1 %.
Flandre, Wallonie, Pays voisins.
  • L’économiste Stijn Baert (UGent) a même qualifié « d’absurde le fait que Dermagne se félicite » : après tout, « l’écart avec la moyenne de l’UE s’est creusé depuis le début de la Vivaldi. Cette augmentation n’est en aucun cas due à une meilleure politique ». Les chiffres montrent qu’à l’automne 2020, la Belgique se situait à 70,2 % et l’ensemble de l’UE à 72,3 %. Fin 2022, la Belgique se trouvait à 72,3 % et l’ensemble de l’UE à 74,9 %.
  • Mais la réaction politique la plus forte est venue principalement de Flandre. En effet, le gouvernement flamand avait, lui aussi, examiné les statistiques et était parvenu à des conclusions très différentes.
    • La Flandre affiche un taux d’emploi record de 77,2 % : les 80 %, qui figurent également dans l’accord de coalition flamand, « sont tout à fait réalisables ». De plus, avec 3,2 % de chômeurs, ce chiffre est aussi historiquement bas.
    • La Wallonie affiche un taux d’emploi de 65,8 %, en baisse de 0,1 % par rapport au trimestre précédent. Le taux de chômage y reste de 8,4 %.
    • Bruxelles affiche des chiffres encore plus tristes : 65,1 % de taux d’emploi, soit une baisse de 0,7 %. Le taux de chômage y est de 11,5 %.
  • Immédiatement, Brouns s’est montré très tranchant : « Bruxelles et la Wallonie sont en fait en déclin, tandis que la Flandre continue de progresser. Ce n’est qu’à l’honneur de la Flandre que la Belgique affiche des chiffres positifs. Plus que jamais, de nouvelles réformes du marché du travail et de la politique d’activation restent désespérément nécessaires », a-t-il déclaré. Ce faisant, il a ajouté en élément communautaire au débat : « Bruxelles et la Wallonie ont besoin d’une politique adaptée. Donnez les clés aux régions ».
  • C’est alors que Thomas Dermine (PS), le jeune secrétaire d’État à la Relance, qui partage ses bureaux avec Dermagne, s’est engouffré dans la brèche pour soutenir son vice-premier ministre. À son tour, il a trouvé « absurde » que l’on « ne veuille pas voir que l’écart avec la moyenne européenne est dû à la politique du précédent gouvernement ».
    • Ce faisant, il a passé au crible les chiffres du début du gouvernement Michel I, en 2014. À l’époque, la différence entre la Belgique et la moyenne de l’UE n’était que de 0,4 % : la Belgique était à 67,4 %, l’UE à 67,8 %.
    • Au début de De Croo I, cet écart était soudainement passé à 2,7 %.
    • Aujourd’hui, l’écart est de 2,8 %.
  • La N-VA a réagi avec véhémence : son économiste en chef, Edwin De Boeck, a littéralement parlé de « tweets de Dermine qui m’énervent ». « La différence de taux d’emploi n’a jamais été aussi importante qu’en 2022 entre la Flandre et la Wallonie », a-t-il affirmé. Aujourd’hui, cette différence s’élève à 11,4 %.
  • L’expert Jan Denys de Randstadt a tout de même apporté la nuance nécessaire à l’affirmation de Brouns selon laquelle « Bruxelles et la Wallonie ne fournissent pas leur part d’effort ». En effet, sur l’ensemble de l’année 2022, et pas seulement sur le dernier trimestre, elles ont fait mieux : Bruxelles a progressé de 3 % et la Flandre de 1,4 % seulement.

L’essentiel : le marché du travail reste un sujet politique très sensible. Et pourtant, il n’y a jamais eu autant d’ouvertures. Qui sait, de nouveau après Pâques ?

  • Il n’est pas étonnant que le cd&v ait réagi aussi vivement, par l’intermédiaire de Brouns. Le mécontentement à l’égard de Dermagne et du PS n’est pas mince, et il existe depuis un certain temps déjà. Le gouvernement flamand, et plus particulièrement le cd&v, avait certainement espéré trouver un allié dans le PS, connu comme régionaliste, pour faire « quelque chose » ici et là avec une politique « asymétrique » du marché de l’emploi.
  • Cela aurait impliqué que Dermagne permette au niveau fédéral de faire certaines choses différemment, selon les régions. La prédécesseure de Brouns, Hilde Crevits (cd&v), s’était également battue en ce sens. En vain, bien que cela avait été mentionné dans l’accord de coalition fédéral. Dermagne s’est avéré beaucoup moins régionaliste, dans sa position fédérale, que ce que l’on pensait ou espérait du côté flamand.
  • « On ne peut pas dire que c’est vraiment le vice-premier socialiste qui bloque tout. C’est plutôt du côté du gouvernement wallon, avec la ministre wallonne de l’Emploi, Christie Morreale (PS), qui freine très souvent. C’est comme ça que tout se bloque », explique une source au sein du gouvernement flamand.
  • « Quelques petites choses ont pu être réalisées, comme des améliorations pour les entreprises de fabrication sur mesure », explique Servais Verherstraeten, chef de file du parti cd&v à la Chambre. « Malheureusement, le gouvernement fédéral n’a jamais vraiment voulu l’utiliser. Mais si nous voulons atteindre le taux d’emploi de 80 %, tout le monde devra de toute façon faire un pas en avant. »
  • C’est pourquoi le cd&v veut immédiatement remettre sur la table les réformes du marché du travail, lorsque la Vivaldi se réunira peu après Pâques pour discuter des pensions et de la fiscalité. « Ces réformes du marché du travail sont absolument nécessaires. Si nous les faisons intelligemment, cela devient implicitement le troisième dossier que nous ajoutons aux réformes. Car on peut commencer à le réaliser par le biais des pensions et de la fiscalité. Il n’est pas nécessaire de procéder à des ajustements du droit du travail, par exemple », explique M. Verherstraeten.
  • De cette manière, le cd&v répond à la demande que le MR répète bruyamment depuis des semaines : Bouchez ne veut s’asseoir à la table des négociations sur la fiscalité que si le marché du travail est également abordé. Le PS, quant à lui, n’en veut pas. En le faisant « implicitement », la Vivaldi pourrait trouver une porte de sortie.
  • « Car l’ambition est justement de faire un nouveau tax shift avec la réforme fiscale, et de rendre le travail moins cher. Cela devrait créer des emplois. Il en va de même pour la réforme des pensions : il suffit de commencer à l’activer, car c’est là que se trouve une autre opportunité. Nous savons que les personnes de plus de 55 ans sont clairement discriminées sur le marché du travail, nous devons nous concentrer sur ce point », affirme le membre du cd&v.
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