Les chiffres publiés vendredi par le ministère russe des Finances montrent que le déficit budgétaire du pays s’est creusé pour atteindre 2.400 milliards de roubles au dernier trimestre, soit plus de 26 milliards d’euros à l’heure où nous écrivons ces lignes. La raison principale : l’Europe s’est largement détournée des énergies fossiles russes. Un déficit qui serait le début d’un effondrement plus large de l’économie russe, dans le style de la chute de l’Union soviétique, selon un célèbre économiste.
Le déficit budgétaire russe s’est envolé depuis que l’Europe achète des combustibles fossiles ailleurs : vers un « effondrement complet » de l’économie ?

Pourquoi est-ce important ?
Avant le début de la guerre en Ukraine, l'Union européenne et la Russie entretenaient une relation symbiotique dans le domaine de l'énergie. La Russie, l'un des plus grands producteurs de pétrole et de gaz au monde, exportait massivement vers l'UE, qui n'était que trop heureuse d'acheter des combustibles fossiles bon marché. Toutefois, depuis que le robinet du gaz a été fermé et qu'un embargo européen sur le pétrole brut et les produits pétroliers a été mis en place, la fête a pris fin.Dans l’actu : Les recettes du gouvernement russe ont chuté de 21% au cours du dernier trimestre par rapport à l’année précédente, selon les chiffres.
- La réduction des exportations d’énergie a eu un impact particulièrement important. Les recettes énergétiques ont chuté de 45% pour atteindre plus de 1.600 milliards de roubles, soit quelque 18 milliards d’euros.
- L’Union européenne était un client important de la Russie. La moitié du gaz naturel utilisé dans l’Union avant l’invasion de l’Ukraine provenait de Russie. Aujourd’hui, cette proportion est encore d’environ 12%. À noter toutefois que l’UE importe plus de gaz naturel par bateau (GNL) que jamais auparavant. Les importations par gazoduc, en revanche, se sont effondrées.
- Les importations de pétrole ont également été réduites. Le 5 décembre, l’UE a décrété un embargo sur le pétrole brut en provenance de Russie. Deux mois plus tard, elle a fait de même pour les produits pétroliers transformés, tels que le diesel et le mazout. En outre, le G7 a plafonné le prix du baril de pétrole brut russe à 60 dollars.
- La Russie a partiellement compensé cette situation en vendant davantage de pétrole et de gaz à d’autres pays, principalement la Chine et l’Inde. Mais le pays a été contraint d’écouler les carburants à un prix fortement réduit.
Plus de dépenses
De l’autre côté : le Kremlin dépense beaucoup plus, principalement pour financer la guerre en Ukraine.
- Le gouvernement russe a dépensé quelque 8.100 milliards de roubles, soit 90 milliards d’euros, au cours du premier trimestre de cette année. Cela représente une augmentation de plus de 30% par rapport à la même période de l’année précédente.
- On ne sait pas en détail comment cet argent a été dépensé. Ce qui est clair, en revanche, c’est que le budget de la défense a augmenté de manière significative. Selon le groupe de recherche Wilson Center, le budget de la défense russe atteindra cette année 9.500 milliards de roubles, soit plus de 100 milliards d’euros, ce qui représente un tiers des dépenses totales du gouvernement.
- La guerre en Ukraine finira par coûter cher à la Russie. Au cours du premier trimestre 2022, elle pouvait encore se vanter d’un excédent budgétaire de 1.130 milliards de roubles, soit environ 13 milliards d’euros. Depuis, cet excédent a complètement disparu.
Ce que cela nous dit sur la direction de l’économie russe
À l’avenir : vers un effondrement à la soviétique ?
- « Tout ce qui se passe rend l’économie russe plus primitive, plus rétrograde », explique l’économiste russe Konstantin Sonin, professeur à l’université de Chicago, en exil, sous mandat d’arrêt en Russie, au journal indépendant russe Novaya Gazeta. « Je pense que nous allons sérieusement suivre le chemin de l’Union soviétique depuis les années 1970 jusqu’à l’implosion économique complète de la fin des années 1980 », continue-t-il.
- Le déficit budgétaire serait ainsi la preuve que cet effondrement aurait déjà commencé.
- « La stagnation peut atteindre un niveau tel qu’elle provoquera l’effondrement total de l’appareil gouvernemental de l’État, comme cela s’est produit dans les années 1990 », continue-t-il.
- Il indique que ce ne sont pas les sanctions de l’Occident qui plombent l’économie russe, mais les efforts de guerre de Poutine. Cela aurait fait chuter le PIB de plus de 3% depuis le début de la guerre.
Le détail : de faux chiffres, pour maquiller un cadavre ?
- Autre signe que l’économie russe serait moins rose que ce qu’il n’y paraît : les chiffres officiels seraient être faux. L’économiste et écrivain Alexei Bayer ne croit pas en leur véracité.
- « Les statistiques économiques russes sont une collection de mensonges et de distorsions », écrit-il dans le Jerusalem Post. « Elles sont destinées à convaincre les citoyens russes que leur économie se porte bien malgré la guerre, et les citoyens étrangers que les sanctions économiques occidentales ne fonctionnent pas et qu’elles devraient donc être levées. De nombreux économistes internationaux, y compris des organisations officielles, ont adhéré à ce type de propagande russe ».
- Il cite par exemple le taux d’inflation – officiellement à 11% en février 2023. Selon Bayer, il serait pourtant à 30% au moins, en réalité, et ce, pour plusieurs raisons.
- C’est que la Russie est dépendante des imports de l’étranger en ce qui concerne certains aliments et composants. Sans ces imports, l’offre est réduite et les prix gonflent.
- Avec la guerre, il y aurait une pénurie de main-d’œuvre ; pour recruter et garder les travailleurs, les entreprises devraient augmenter les salaires. Aussi à cause de la guerre : le front représente une demande d’aliments et de vêtements, ce qui se répercute sur l’offre de ces biens pour les citoyens (et fait augmenter les prix).
- Dans ce contexte, il faudrait aussi payer plus pour corrompre les autorités, ce qui fait aussi augmenter l’inflation.
- Sans les composants nécessaires, la production de toute une série de biens est en baisse. Ce qui réduirait aussi l’offre et ferait augmenter les prix. La croissance en serait également plombée.
- Ergo : Bayer remet ainsi en question le chiffre officiel de la croissance russe en 2022, également. Son PIB ne se serait contracté que de 2,2%, selon les autorités.
- Il souligne aussi que la Russie a annoncé avoir réduit sa production de pétrole de 700.000 barils par jour, mais que les données d’exportation restent plus ou moins inchangées. Autre preuve que la Russie manipulerait les chiffres.