Paris et Berlin se disputent le rôle de locomotive du réarmement de l’Europe face à la menace russe. Une question qui porte tant sur le prestige que sur l’économie : faut-il favoriser les industries nationales, ou se reposer sur le matériel éprouvé de l’oncle Sam ?
Défense de l’Europe : vers une brouille franco-allemande sur les meilleures armes à se procurer

Pourquoi est-ce important ?
L'invasion de l'Ukraine a démontré que le retour de la guerre de conquête en Europe était passé d'impossibilité totale à situation réelle en quelques semaines. Dans ce contexte, les pays de l'UE pensent à leur défense, en particulier face aux barrages de missiles déployés par le Kremlin. Mais si le besoin d'un nouvel arsenal défensif fait l'unanimité, la coordination fait encore défaut.Le contexte : Berlin coordonne l’initiative European Sky Shield, lancée l’année dernière, et qui vise à déployer un bouclier antiaérien et antimissile intégrant les défenses des différents pays européens. Elle regroupe pour l’instant 17 pays, mais d’autres s’en tiennent à l’écart, rappelle le Financial Times : l’Italie, la Pologne, mais aussi et surtout la France.
- Car Paris a pris ombrage de l’initiative allemande, lui reprochant de reposer massivement sur des systèmes d’arme extraeuropéens. Or, la France possède une industrie de l’armement de pointe et voudrait se voir en nouvelle grande armurerie de l’Europe, à l’heure où la question de l’autonomie revient sur la table en matière de défense.
- C’est justement en France qu’ouvre ce lundi une conférence sur la stratégie de défense aérienne, en marge du Salon International de l’Aéronautique et de l’Espace du Bourget, où l’enjeu European Sky Shield sera bien sûr abordé. Et où Macron défendra la technologie tricolore.
Tout l’enjeu vient du choix des armes
Les pays participants à l’initiative European Sky Shield gardent le choix de leur arsenal, bien que le contexte favorise une compatibilité croissante. Or Berlin a opté pour des missiles Iris-T du fabricant local Diehl Group à moyenne portée, puis des Patriot américains et des Arrow 3 israéliens aux portées supérieures. Qu’est-ce qui reste sur le carreau ? Les missiles franco-italiens SAMP-T, dont la portée est pourtant similaire à celle du Patriot.
- C’est évidemment une affaire de gros sous, alors que la France a déjà perdu le marché des sous-marins australiens dans l’affaire AUKUS.
- Mais l’Elysée insiste sur la dangerosité de recréer des dépendances à l’étranger pour les pièces de rechange et les munitions, plutôt que de réactiver des filières nationales, ou au moins européennes. Paris rappelle d’ailleurs allègrement que European Sky Shield n’en est qu’au stade de la « lettre d’intention », ce qui irrite assurément Berlin.
« La France est contrariée par le fait que Sky Shield est largement basé sur la technologie américaine et israélienne, alors qu’il existe une alternative européenne, et que le projet a en fait exclu l’Europe du Sud. »
Shahin Vallée, German Council on Foreign Relations, cité par le Financial Times
Tout cet enjeu dépasse d’ailleurs le cadre de la défense anti-aérienne : la volonté de certains pays – dont la Belgique – de se greffer au programme SCAF (le nouvel avion de chasse européen et son système informatique de coordination) passe mal, si cela veut dire se mêler d’un cahier des charges franco-hispano-allemand qui fut déjà compliqué à conclure. En outre, de nombreux pays – dont, là encore, la Belgique – avaient auparavant fait le choix du F-35 américain, au grand dam de Paris.