Alors que les troubles ne sont pas apaisés dans les régions serbophones du pays, dont l’indépendance de fait n’est toujours pas actée par l’ONU, le Kosovo achète en masse des armes turques. De quoi risquer de faire dérailler les processus de paix, alors que l’OTAN tente vainement de privilégier le dialogue entre les différentes entités balkaniques, dont les minorités serbes s’agitent – plus sans doute sous la pression de Moscou que celle de Belgrade, d’ailleurs.
Course aux armements dans les Balkans : l’OTAN met en garde contre un nouvel embrasement alors que le Kosovo achète des drones Bayraktar

Pourquoi est-ce important ?
Comme une série de vieilles blessures qui n'ont jamais cicatrisé : les rivalités ethniques ressurgissent régulièrement dans les pays des Balkans, avec toujours un risque d'embrasement bien réel qui pourrait faire tache d'huile dans la région. Or, depuis 2021, les tensions s'exacerbent à nouveau dans les provinces à majorité serbe du Kosovo, mais aussi en République serbe de Bosnie.Des armes turques pour une armée non-officielle
Dans l’actualité : le Kosovo a confirmé au début de la semaine que la Turquie avait livré à son armée, la KSF (Kosovo Security Forces), des drones Bayraktar TB-2 flambant neufs. Ce sont les mêmes engins qui se sont illustrés en Ukraine face à l’armée russe pour leurs capacités antichars.
- Ce n’est d’ailleurs pas la première livraison d’armes que la KSF reçoit de la Turquie : Ankara a déjà fourni à Pristina différents types de blindés légers, comme des Otokar Cobra ou des blindés de combat d’infanterie ACV-15.
- De quoi muscler l’armée du Kosovo, qui y gagne maintenant une capacité de frappe air-sol non négligeable. Problème : pour la Serbie voisine, qui considère le Kosovo comme l’une de ses provinces, ces troupes sont illégales. De quoi donc raviver des tensions, ce dont les protecteurs du Kosovo au sein de l’OTAN se seraient bien passés. D’autant que c’est le commandement de la KFOR, la force de l’OTAN sur place sous mandat de l’ONU, qui doit contrôler l’espace aérien local, rappelle Opex360. Cela devient plus compliqué si un des camps a des drones d’attaque.
« En deux ans, nous avons augmenté de plus de 80 % le nombre de soldats et de plus de 100 % le budget militaire. Le Kosovo est maintenant encore plus sûr et toujours fier. »
Albin Kurti, Premier ministre du Kosovo
Depuis plusieurs mois, les localités à majorité serbe, le long de la frontière de cet État qui a fait sécession de la Serbie officiellement en 2008 (mais qui n’est reconnue pour l’instant ni par l’ONU ni par l’UE), sont en proie aux tensions.
Surenchère kosovare ?
- D’abord quand le gouvernement de Pristina a voulu imposer une taxe aux plaques d’immatriculation étrangères – donc aussi et surtout serbes, alors que ces localités dépendent de Belgrade pour tous leurs services publics.
- Ensuite, les représentants serbes des localités concernées en démissionné en masse, incitant la capitale à organiser des élections municipales anticipées, boycottées par les habitants serbophones.
- Conséquence logique : l’élection de maires albanophones, dont la prise des fonctions a dégénéré en troubles graves dans certaines localités – sur lesquels les deux camps se renvoient la balle. En mai dernier, une quarantaine de soldats de la KFOR – des Hongrois et des Italiens – ont été blessés.
Très clairement, il y a une responsabilité des autorités kosovares dans la situation actuelle et un non-respect d’un accord qui était pourtant important et qui avait été scellé il y a juste quelques semaines. Nous avons très clairement signifié aux autorités kosovares que c’était une erreur de procéder à ces élections. »
La réaction d’Emmanuel Macron le 31 mai depuis Bratislava, citée par Opex360
Les acquisitions d’armes du gouvernement kosovar suscitent des tensions au sein même de l’OTAN, qui craint l’escalade jusqu’à l’affrontement dans la région. Quitte à se mettre en porte-à-faux avec les États-Unis, grands alliés de Pristina et partisans d’un état indépendant reconnu. Mais cela aussi, c’est en train de changer.
L’OTAN joue les pompiers face à une poudrière
- En 2018 encore, le secrétaire général de l’OTAN, le Norvégien Jens Stoltenberg, s’opposait à la volonté américaine de considérer la KSF comme une armée régulière, évoquant à l’époque une « initiative malvenue » pour le maintien d’un processus de paix.
- Depuis, et face à la fois aux tensions et à la volonté de montée en puissance des Kosovars, les USA ont refusé que leur force armée participe aux manœuvres Defender 23, les grands exercices de l’OTAN de juin dernier. Peut-être un peu tard pour faire machine arrière, alors que côté serbe – parmi les minorités comme à Belgrade – on se rappelle des bombardements de l’Alliance atlantique de 1994.
- Or, en Bosnie-Herzégovine voisine, où les Serbes bénéficient d’une république autonome au sein de l’État, les tensions montent aussi, vraisemblablement avec le soutien de Moscou. C’est un véritable début de sécession qui semble mener le président Milorad Dodik, qui a quasiment séparé les institutions serbes de celles nationales – police comprise – et durci le ton sur une ligne très pro-Poutine et anti-occident. Pendant ce temps, à Belgrade, on ne sait pas comment éteindre les braises sans risquer de malencontreusement souffler dessus.