L’agence de notation de crédit Scope a révélé l’excédent de la balance courante de la Russie suite à l’explosion des prix de l’énergie: 58,2 milliards de dollars au premier trimestre. Un montant jamais atteint qui permet à la Russie d’éviter la faillite et qui affaiblit de facto les sanctions occidentales.
Voilà maintenant près de deux mois que le prix du baril de Brent n’est pas redescendu en dessous des 100 dollars. Avec les prix du gaz, ils permettent à la Russie de garder la tête hors de l’eau avec un excédent de la balance courante qui atteint 10% des réserves de changes de la Banque centrale de la Fédération de Russie, rapporte BFM TV, sur base des chiffres du 1er trimestre de Scope. Hors sanctions, la banque centrale disposait en effet d’un peu plus de 600 milliards de réserves de change. Il a souvent été dit que les sanctions occidentales allaient amputer la moitié de ces avoirs-là.
Mais en l’absence de sanctions sur l’énergie, du côté européen, la balance commerciale de la Russie devrait atteindre les 200 milliards de dollars sur l’année 2022 contre 120 milliards en 2021. Selon le Haut représentant de l’UE aux Affaires étrangères Josepp Borell, l’UE aurait déjà déboursé plus de 35 milliards d’euros pour l’approvisionnement énergétique russe depuis le début du conflit. Un montant qui illustre la dépendance de l’Europe vis-à-vis de son voisin de l’Est. Des discussions ont lieu pour envisager un boycott du pétrole voire du gaz, mais pour des pays comme l’Allemagne, c’est tout simplement impossible. Se passer du gaz russe pourrait plomber l’économie allemande de 6,5% du PIB et couter des centaines de milliers d’emplois.
Pétrole
Au niveau du pétrole, la question est de savoir pourquoi le prix du baril de brent reste bloqué au-dessus des 100 dollars. Après tout, les sanctions américaines et du Royaume-Uni sur l’énergie russe restent très confidentielles. Les sanctions de l’UE auraient un impact beaucoup plus important, mais on l’a vu, elles restent pour le moment lettre morte.
Alors pourquoi les prix restent hauts ? Les yeux se tournent naturellement vers l’Opep (35% de la production), l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, dont la mission est de réguler la production de pétrole et donc le contrôle des prix. Avec la Russie et 9 autres pays, on parle aussi d’Opep+ (70% de la production). Mais la grande faiblesse de cette organisation est que les discussions qui y sont menées et les décisions qui y sont prises ne sont pas contraignantes. C’est ainsi que depuis des mois, les pays de l’Opep échouent à remplir leurs objectifs d’approvisionnement.
La question est de savoir si c’est intentionnel ou si l’Opep n’est plus capable d’empêcher les fluctuations brutales des prix ? La vérité est que les pays de l’Opep ne sont pas vraiment pressés d’aider. Ils envisagent d’augmenter la production de seulement 432.000 barils par jour en mai 2022 pour répondre à la demande, en hausse depuis la reprise post-covid. À titre de comparaison, la Russie produit 10 millions de barils par jour. Les monarchies pétrolières bénéficient bien sûr elles aussi de ces prix hauts. L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont déjà fait savoir aux occidentaux qu’ils n’augmenteraient pas leur production de pétrole sans contrepartie
La Russie se tourne vers la Chine
Est-ce à dire que les sanctions occidentales n’ont aucun effet sur la Russie ? Non. Le PIB russe devrait se contracter de 8,5% en 2022, prédit le FMI. Le départ des entreprises étrangères affecte de nombreuses industries russes, à commencer par l’aéronautique, la finance, l’informatique ou l’agriculture. La Russie manque d’équipements qu’elle importe tout comme de matériels de haute technologie.
En outre, la perte de confiance des investisseurs dans la Russie et son marché est un problème à plus long terme pour Moscou. L’argent du pétrole et du gaz ne pourra pas tout compenser.
Et la Russie reste très dépendante de l’Europe, son premier marché de l’énergie. La guerre en Ukraine aura (enfin) fait comprendre au Vieux continent qu’il dépend trop de l’ours russe. L’UE vise 2030 voire plus tôt pour se passer complètement des énergies fossiles russes.
La Russie se tourne donc vers la Chine pour étendre son marché vers l’Asie, mais là encore, ça ne peut pas se faire du jour au lendemain. Pour le moment, la Russie ne dispose pas des infrastructures pour rediriger son gaz vers la Chine. Moscou compte huit pipelines permettant d’expédier environ 220 milliards de mètres cubes par an vers l’Europe. C’est six fois plus que la capacité de l’unique pipeline qui relie la Russie à la Chine, le Power of Siberia. Et puis, officiellement en tout cas, la Chine refuse pour le moment les excédents de pétrole russe qui lui sont proposés à bas prix.
Au niveau monétaire, la Russie aimerait aussi se tourner davantage vers le Yuan pour diminuer sa dépendance au dollar et à l’euro. Mais là aussi, rien d’évident: la moitié des exportations russes vers la Chine se règle par exemple en euros.