Si on trouve toute l’année dans nos supermarchés des fruits et légumes qui sont saisonniers chez nous, c’est grâce à l’agriculture extensive de l’Espagne. Mais celle-ci transforme le pays en désert, sur fond de nouvelle crise politique.
Comment le boycott des « fraises de la sécheresse » plonge l’Espagne dans la tourmente politique et écologique

Pourquoi est-ce important ?
L'Espagne est à la fois un des principaux pays exportateurs de fruits et de légumes au sein de l'Union européenne, et l'un des plus touchés par la sécheresse. Ça n'est pas une coïncidence.L’Andalousie, dans le sud de l’Espagne, est une région désertique, même selon les critères d’un pays déjà sec. Et pourtant, on y fait pousser de tout, dont des fraises, un fruit particulièrement gourmand en eau – jusqu’à plusieurs arrosages par jour, par fortes chaleurs.
Les cultures vampirisent les réserves naturelles
Or le gouvernement de la province autonome, conservateur, a décidé de légaliser massivement les captages clandestins des cultivateurs : jusqu’à 1.000 puits illégaux seront finalement considérés comme parfaitement réguliers, alors qu’ils pompent directement dans le parc national de Doñana, une zone de marais, et de ruisseaux peu profonds, ainsi que dans le delta du fleuve Guadalquivir, soit des zones humides aussi rares que fragiles qui servent de refuge à de nombreuses espèces protégées.
- Sauf que c’est hors d’Espagne que cette décision a provoqué les réactions les plus vives : Campact, un groupe militant allemand, a demandé le boycott des désormais surnommées « fraises de la sécheresse » à deux enseignes de son pays : Aldi et Lidl, présentes un peu partout en Europe, y compris d’ailleurs chez nous.
- Une pétition en ligne lancée par le groupe a recueilli environ 160.000 signatures rien qu’en Allemagne. De quoi inquiéter un gouvernement central espagnol socialiste qui se passerait bien de cette mauvaise presse et de ses possibles conséquences économiques, alors qu’il sort d’une lourde défaite aux élections régionales.
La gauche, la droite et un robinet
« Les producteurs de fraises espagnols qui respectent la loi et possèdent des droits sur l’eau ne méritent pas le risque de réputation que représente l’initiative de Moreno Bonilla [NDLR : le président conservateur de la Junte d’Andalousie].
Teresa Ribera, ministre espagnole de l’Environnement et vice-première ministre, auprès du Financial Times
Une décision de légalisation de la part des conservateurs qui tombe juste après une très grosse défaite des socialistes au pouvoir lors des élections régionales du 28 mai dernier, qui a vu un tsunami de la droite et de l’extrême-droite. Le gouvernement de gauche a annoncé la dissolution du Parlement et des élections législatives anticipées, dès fin juillet plutôt qu’à la fin de l’année.
L’affaire des fraises ne fait qu’accentuer les tensions entre la gauche et la droite espagnole : les socialistes avaient fait fermer 700 puits illégaux dans la région. Mais elle démontre aussi et surtout que le modèle agricole espagnol, basé sur la culture intensive de denrées d’exportation, est à bout de souffle alors que 35% du pays est menacé de sécheresse persistante.
- Le symbole le plus lourd de cette situation n’est pas tant la culture de la fraise que celle de l’olivier : l’Espagne produit la moitié de l’huile d’olive mondiale. Et c’est particulièrement vrai en Andalousie, où cette culture représente 1.673.071 hectares, soit une superficie légèrement supérieure à celle du Connecticut, et plus de la moitié des oliveraies du pays.
- On parle de 1.400.000 tonnes d’huiles par an, dont 60% partent à l’exportation, mais le rendement des cultures s’effondre, là aussi, par manque d’eau. L’Espagne devient un désert, de plus en plus vite. Où l’on s’obstine à faire pousser des olives, des fraises et des tomates.
- C’est tout un modèle de consommation qui se trouve à bout de souffle ; ces cultures arrivent toute l’année sur les étals d’Europe du Nord. Alors que pour continuer à manger des fraises qui ne sont pas issues d’une aberration écologique, il suffit d’attendre celles de Wépion.