La ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen) exhorte ses partenaires de la coalition au sein de la Vivaldi à prendre une décision sur le futur mix énergétique avant Noël. Mais ça grogne. Après les feux nourris du MR et les remous au sein de l’Open Vld, c’est au tour du CD&V d’émettre des doutes importants. Vendredi, il est apparu clairement que les chrétiens-démocrates ont encore des questions pressantes sur l’approvisionnement. « Ce dossier sera mis au placard si le nœud ne peut être démêlé », ont-ils déclaré. Auparavant, le président du CD&V, Joachim Coens, avait demandé la convocation d’un comité de concertation sur la question, auquel participerait aussi le gouvernement flamand. Il répète sa proposition.
Dans l’actualité : Le dossier nucléaire connaîtra-t-il une avancée avant Noël ?
- Un rapport de plus de 200 pages était sur la table du kern vendredi. Entre toute l’agitation et l’attention des médias autour du Comité de concertation, ce rapport de la ministre Van der Straeten est passé au second plan.
- Normalement, la Vivaldi aurait dû décider de cette sortie du nucléaire avant la fin du mois de novembre. Mais il s’agit d’une question politiquement très sensible. En effet, non seulement il y a un énorme débat mondial sur les émissions de CO2, mais en même temps il y a (temporairement) une importante flambée des prix des combustibles fossiles, en particulier du gaz.
- Cela signifie que la ministre doit procéder avec une extrême prudence : il est hors de question que le nouveau mix énergétique soit lié à une hausse des prix. Cela rend tout le dossier beaucoup plus délicat pour la Vivaldi.
- Certainement parce qu’un partenaire au sein de la coalition, le MR, continue de faire systématiquement campagne pour que les centrales nucléaires restent en activité. Georges-Louis Bouchez (MR) et son ancienne ministre de l’énergie, Marie-Christine Marghem (MR), sont engagés dans une guerre totale pour maintenir l’atome.
- Contre les décibels du MR, les Verts tentent d’adopter une attitude zen et « technocratique » : répondre au dossier autant que possible sur le plan technique, et entamer une course de fond. La question est de savoir si cela va réussir.
Ce que dit le rapport Van der Straeten : sans surprise, les centrales nucléaires peuvent fermer.
- Ainsi, en plus d’un rapport du SPF Economie, qui ne soulevait pas trop d’objections à la fermeture des centrales nucléaires mais laissait de nombreuses questions sans réponse, il y a eu le travail personnel de Van der Straeten. Le raisonnement était clair : après des années d’inaction, il est temps de délier le noeud. Il n’y a pas de scénario « idéal ».
- Mais, sans surprise, Van der Straeten s’en tient à la sortie nucléaire. Pendant l’accord de coalition, Ecolo et Groen se sont battus bec et ongles pour ce trophée. Aujourd’hui, ils se distancient déjà beaucoup plus de ce symbole, au point que les deux partis ont déjà réfléchi tout haut à la nouvelle génération de réacteurs, les centrales dites SMR, de petits réacteurs modulaires.
- Mais il s’agit d’un coup de communication : la porte est symboliquement rouverte à l’énergie nucléaire, mais dans la pratique, les centrales seront tout simplement fermées. Car les Verts ne veulent pas changer la loi, qui est nécessaire pour autoriser l’énergie nucléaire après 2025 en Belgique.
- En outre, Van der Straeten affirme, sur la base des calculs du gestionnaire de réseau Elia, que même si les deux dernières centrales, Doel 4 et Tihange 3, restaient ouvertes, de nouvelles centrales à gaz et le mécanisme de soutien dit CRM seraient de toute façon nécessaires. Et ce dernier mécanisme a été approuvé par l’Europe. Une nouvelle vente aux enchères devra être organisée en 2024 pour compléter le mix énergétique. La ministre Groen retourne en quelque sorte l’argument de la sécurité d’approvisionnement contre les pro-nucléaires.
- En outre, Engie, le propriétaire des centrales nucléaires, n’est pas du tout enthousiaste à l’idée d’une prolongation et veut les centrales à gaz, pour lesquelles la multinationale recevra de généreuses subventions. De plus, si Engie devait maintenir Doel 4 et Tihange 3 ouvertes, elles ne seraient pas prêtes à temps, tel est l’argument.
- Le caillou dans la chaussure des centrales à gaz est le dossier de Vilvorde. Là, le gouvernement flamand et la ministre de l’Environnement Zuhal Demir (N-VA) ont rejeté le projet. Van der Straeten doit donc admettre qu’il s’agit ici d’une incertitude majeure. Il faut une alternative.
Comment le kern a-t-il réagi ? Beaucoup de retenue.
- Il est clair depuis longtemps que les libéraux auront du mal à se mettre d’accord. L’Open Vld était déjà sceptique quant au rapport du SPF Economie, et l’explication de Van der Straeten ne semble pas non plus suffisante. De plus, l’Open Vld demande à la Chambre de modifier la loi sur la sortie du nucléaire, afin que l’option nucléaire reste ouverte après 2025. Le député Christian Leysen (Open Vld) a soumis un projet de loi en ce sens.
- Le MR poursuit sur la même ligne. Bouchez a fait beaucoup de bruit dans les médias : dans La Libre d’aujourd’hui, il a accusé Van der Straeten de ne pas respecter l’accord de coalition: « Elle n’a pas du tout travaillé sur un plan B, à savoir le maintien de deux réacteurs ouverts, ce qui était prévu dans l’accord de gouvernement. » Il souligne également que Van der Straeten « ne veut tout simplement pas écouter » les acteurs du secteur qui souhaitent que les réacteurs nucléaires soient prolongés. Il qualifie l’attitude des Verts de « stratégie de pourrissement », après la sortie de Jean-Marc Nollet dans l’Echo, qui affirmait ce weekend avec une pointe de défi: « Sur le nucléaire, si certains veulent faire traîner, ce n’est pas un souci. »
- Le temps joue en effet en faveur des écologistes. Si le dossier traîne, les centrales ne pourront de facto être prolongées, car cela n’aura pas été préparé à temps.
- Mais voilà, des questions font également surface ailleurs dans la coalition. Le CD&V en particulier avait une attitude hésitante lors du kern, plusieurs sources nous le confirment. Ce n’est pas une coïncidence, car même au siège du parti du CD&V, on « rappelle l’accord de coalition, qui a fixé des conditions claires ». « Et nous constatons qu’en termes de sécurité d’approvisionnement, ce n’est pas garanti pour le moment ».
- Le CD&V, qui siège à la fois au gouvernement flamand et au gouvernement fédéral, demande une fois de plus la création d’un Comité de concertation afin de réunir les différents niveaux sur le dossier de l’énergie. Mais la question est de savoir si d’autres membres du gouvernement, en particulier le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) ou les Verts auront beaucoup d’appétit pour une telle stratégie : parce que de cette façon, on amène la N-VA à la table. Et l’attitude des nationalistes flamands dans ce dossier est connue : le président Bart De Wever (N-VA) est sur la même ligne que le MR et ne veut pas entendre parler de l’abandon de l’atome.
- Le CD&V n’est plus très chaud : « Il semble que ce dossier ne sera pas résolu aussi rapidement que prévu ». Et il y a aussi du scepticisme chez les socialistes: « Van Der Straeten est certainement une personne compétente, mais elle a peut-être pensé trop longtemps que tout se passerait facilement. Aujourd’hui, il n’y a toujours pas de réponses à un certain nombre de questions, parfois indépendantes de sa volonté », c’est ainsi qu’une source gouvernementale socialiste résume le dossier. Il est évidemment fait allusion au prix.
A prendre en compte : Les syndicats sont également impliqués dans le dossier.
- Au total, 6 000 emplois sont concernés dans le secteur nucléaire. Les syndicats se sont réunis en front uni pour attaquer massivement la sortie du nucléaire. Ils pointent également du doigt la sécurité d’approvisionnement pour d’autres secteurs (y compris dans le port d’Anvers).
- La semaine dernière, ils ont rendu visite à à peu près tous les présidents de la Vivaldi, et les discussions ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd. Tant le PS que le CD&V s’inquiètent des conséquences sociales pour le secteur. Un allongement de la durée de vie permettrait déjà d’étaler plus facilement la sortie des salariés vers d’autres secteurs.
- Cette pression des syndicats est un obstacle supplémentaire pour les Verts dans le dossier. Car les employeurs se sont déjà prononcés avec force contre la sortie du nucléaire.