La colère des derniers mois a cédé la place à la résignation: les pêcheurs de Boulogne-sur-Mer, premier port de pêche français, ont pris acte sans surprise mercredi du refus des autorités britanniques de leur délivrer toutes les licences de pêche post-Brexit qu’ils réclamaient.
Peu d’entre eux sont sortis en mer malgré le beau temps: la plupart sont en carénage, ce moment de l’année où ils remettent leurs navires d’aplomb. Le port est très calme, malgré les annonces des dernières heures de l’autre côté de la Manche. Après une saison difficile, les pêcheurs se concentrent sur la préparation de celle, très lucrative, des coquilles Saint-Jacques, pêchées au large de Dieppe (Seine-Maritime) et, marginalement, dans les eaux britanniques.
Dans son pull-over trop large, Jean-Marie Baheu, un petit homme trapu, s’apprête, désabusé, à rejoindre son catamaran de pêche, la « Murex », pour de la retape. « Au début, on était révoltés. Mais on est de plus en plus résignés, écoeurés », confie-t-il à l’AFP. Les coups durs infligés par les Britanniques, après des mois de négociations chaotiques sur le Brexit entre Londres et Bruxelles, il en a désormais l’habitude. Il fait partie de la quarantaine de pêcheurs boulonnais toujours dans l’attente d’une licence, ce sésame qui l’autoriserait à travailler dans une zone située entre 6 et 12 milles nautiques des côtes britanniques, mais qui n’est accordée qu’à ceux qui peuvent prouver qu’ils y pêchaient auparavant.
« Certains ont obtenu leur licence sans antériorité et nous on attend toujours », regrette le quinquagénaire, issu d’une vieille famille de pêcheurs boulonnais, dont le fils est lui aussi patron de pêche. « Que sera la pêche dans trois ans ? C’est là qu’on jugera les conséquences de ce que les Anglais nous imposent aujourd’hui », estime-t-il.
Son sort, tout comme celui des familles et employés de la centaine de patrons de pêche du Boulonnais, constitue un enjeu majeur pour Frédéric Cuvillier, maire socialiste de la ville, présent mercredi dans le port. Neuf mois après la conclusion in extremis de l’accord post-Brexit entre l’UE et le Royaume-Uni, dans lequel la question des droits de pêche est supposée avoir été réglée, il dresse un bilan sans appel: « les accords auraient dû être mieux traités » et la pêche a été « mal défendue ». Pourtant érigé en priorité par les Européens, le secteur a « été sacrifié », plaçant les pêcheurs « face à l’inconnu », avance celui qui fut ministre de la Mer sous François Hollande. « On a donné un chèque en blanc aux autorités britanniques pour qu’elles nous imposent leur libre choix », insiste-t-il, affichant l’espoir que Bruxelles reprenne le dossier… en se montrant cette fois « intransigeant » avec Londres.
C’est également le souhait d’Etienne Dachicourt, directeur de la Coopérative maritime étaploise, qui représente 44 bateaux de Boulogne-sur-Mer. « On va se trouver avec environ 90% de la flotte européenne –française, mais aussi belge et hollandaise– dans les eaux françaises. Or, on ne peut pas se disputer entre Européens ça ferait le jeu des Anglais », souligne-t-il. Il ne cache pas son amertume: « Jusque-là, les pêcheurs ont fait confiance au gouvernement français pour défendre leurs droits. Mais là, ils ne voient rien venir… » « Il y a une forte tension sur les quais, et je m’attends au pire dans les jours ou les semaines à venir. C’est fort possible qu’il y ait des mouvements de protestation », renchérit Olivier Leprêtre, président du comité régional des pêches dans les Hauts-de-France. Il va jusqu’à évoquer un blocage du port de Calais –qu’il aurait « du mal à cautionner ». Mais dans l’immédiat, aucun mouvement de protestation n’était prévu par les pêcheurs boulonnais.
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