Avec la fin de l’accord sur les céréales ukrainiennes, ce sont des dizaines de millions de personnes qui risquent la famine. Il n’y a qu’un seul coupable, et il est au Kremlin. Et ses derniers soutiens à l’international commencent à se rendre compte qu’ils ne sont que des pions, pour lui.
Avec son rejet de l’accord sur les céréales, Poutine se met même ses « amis » africains à dos et resserre les filets de la justice internationale

Pourquoi est-ce important ?
L'accord sur l'exportation libre des céréales ukrainiennes via la mer Noire était déjà en train de prendre l'eau ; Moscou a pris comme prétexte la nouvelle attaque sur le pont de Kertsch, en début de semaine, pour le noyer. C'est un manque à gagner conséquent pour les caisses de Kiev alors qu'il y a une guerre à mener, mais c'est aussi un signal très inquiétant pour les pays, au Moyen-Orient et surtout en Afrique, qui dépendent des importations de céréales de la mer Noire.Le contexte : le 17 juin dernier, une délégation de chefs d’État africains se rendait à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine, plaisant pour une fin rapide à la guerre, et surtout pour le maintien des accords céréaliers. La délégation d’Afrique du Sud, en particulier, soulignait « l’importance des livraisons de céréales à l’Afrique pour réduire l’insécurité alimentaire » rappelle l’édition internationale du journal Le Monde. Un mois plus tard, Poutine envoyait valser le deal, malgré les tentatives occidentales de trouver un compromis qui pouvait le satisfaire.
L’arme de la faim se retourne contre le Kremlin
- Ce sont donc 33 millions de tonnes de grains qui ne pourront pas quitter sans risque les ports ukrainiens de la mer Noire. Pour le Programme alimentaire mondial, c’est comme si la principale artère des exportations alimentaires mondiales avait été coupée, alors que plus de 70 pays souffrent de la faim. En particulier en Afrique de l’Est, où 80 millions de personnes sont menacées par la famine.
- Le Fonds monétaire international (FMI) a averti que le retrait de la Russie « aggrave les perspectives en matière de sécurité alimentaire et risque d’aggraver l’inflation alimentaire mondiale, en particulier pour les pays à faible revenu. » Et ça se confirme déjà : un indice des contrats de blé cotés à Chicago a augmenté de plus de 12 % en réaction au retrait de la Russie.
Du point de vue de Poutine, bien sûr, ça n’est certainement pas sa faute si d’autres pays se retrouvent en détresse alimentaire. C’est forcément celle de l’Occident, belliciste et impérialiste : au lieu d’aider les pays qui en ont réellement besoin, l’Occident a utilisé l’accord sur les céréales à des fins de chantage politique et en a fait un outil d’enrichissement de multinationales, de spéculateurs sur le marché mondial » a-t-il argumenté lors d’une réunion gouvernementale retransmise à la télévision russe. Un air connu : utiliser la faim pour blâmer l’Occident de tous les maux. Sauf que ce discours ne passe plus aussi bien qu’avant.
- En Afrique du Sud, la position officielle du pays face à Poutine est devenue un enjeu national. Car Pretoria n’a pas condamné l’invasion russe de l’Ukraine. Mais elle accueillera le sommet annuel des BRICS, les cinq « puissances émergentes » dont fait partie la Russie, en août prochain.
- Or, l’Afrique du Sud est signataire de la Cour pénale internationale (CPI), qui a lancé un mandat d’arrêt contre Poutine pour les déportations d’enfants ukrainiens en Russie. Pretoria devrait donc arrêter le président russe s’il met un pied dans le pays, ce que réclame l’opposition politique, au grand dam d’un président Cyril Ramaphosa qui ne sait trop sur quel pied danser face à « l’ami » russe d’hier.
« La Russie a clairement indiqué que l’arrestation de son président en exercice constituerait une déclaration de guerre. Il serait contraire à notre constitution de risquer de s’engager dans une guerre avec la Russie. »
Cyril Ramaphosa
Des amitiés qui vacillent
Plot twist : c’est faux. Et même la diplomatie russe nie avoir jamais dit cela explicitement. Sans affirmer l’inverse, toutefois : « Personne n’a informé qui que ce soit de quoi que ce soit », a lâché Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin. « Dans ce monde, il est absolument clair pour tout le monde ce que signifie une tentative d’empiétement sur le dirigeant russe. » Toutefois, Poutine ne se déplacera pas, et assistera à la réunion des BRICS en vidéoconférence.
- Le rejet de l’accord sur le grain est le meilleur argumentaire pour effriter le soutien à Poutine dans de nombreux pays africains, malgré les positions assez anti-occidentales – pas forcément injustifiées – qui sous-tendent souvent la politique locale.
- L’instabilité croissante que l’on devine derrière les murailles du Kremlin en est un autre : au Mali ou en République centrafricaine, on ne sait pas trop que faire quand l’allié russe se retrouve aux prises avec ses propres mercenaires – qui assurent la sécurité des gouvernements locaux.