« Nous ouvrons la boîte de Pandore » : grande inquiétude au sein du gouvernement fédéral concernant la compensation aux régions dans le cadre de la réforme fiscale

Les discussions autour de la réforme fiscale sont prévues pour ce week-end, mais le sujet agite la politique belge de manière plus large : toute l’architecture financière du pays est en réalité remise en question. Avec la demande des gouvernements wallon et bruxellois de recevoir des compensations suite à une réduction fédérale des charges sur le travail, « ils ont ouvert la boîte de Pandore », affirment des sources de haut niveau au sein de la coalition Vivaldi. Il y a des objections politiques et juridiques à cela. Politiquement, « c’est un précédent très dangereux », déclare-t-on au niveau fédéral. « Tout est interconnecté dans ce pays. Si nous supprimions la péréquation des pensions pour les fonctionnaires, ce sont les régions qui en bénéficieraient le plus. Devrions-nous alors demander à notre tour une compensation ? » Mais il y a aussi l’aspect juridique : il y a les règles de la fameuse « Loi spéciale de financement », la LSF, qui régit les flux financiers entre le niveau fédéral et les régions. La semaine dernière, la secrétaire d’État au Budget, Alexia Betrand (Open Vld), a également déclaré à la Chambre « qu’un tel fonds de compensation ne peut pas être créé sans modifier la LSF ». Cependant, cela ne peut se faire qu’avec une majorité des deux tiers et une majorité dans chaque groupe linguistique.

Dans l’actualité : Des « propositions créatives » sont faites par la Région wallonne pour compenser la réforme fiscale.

Les détails : La demande de la Wallonie et de Bruxelles risque de déclencher une avalanche de discussions inévitables dans la politique belge : les flux financiers entre le niveau fédéral et les régions.

  • C’est le jeune ministre wallon du Budget, Adrien Dolimont (MR), qui a mis le feu aux poudres, peut-être sans se rendre compte complètement de ce qu’il allait déclencher. Car le MR se positionne avec son président Georges-Louis Bouchez comme étant extrêmement « belgiciste », mais dans cette affaire, des forces centrifuges sont soudainement apparues. Un peu au grand dam du niveau fédéral.
  • Comme mentionné hier dans la newsletter Rue de la Loi : les régions, et en particulier la Wallonie et Bruxelles, ont commencé à faire leurs calculs concernant la réforme fiscale qui se profile. Le problème réside dans l’impôt sur le revenu des personnes physiques : les revenus provenant de cet impôt, sur lesquels les régions perçoivent de l’argent, diminueraient considérablement en raison du transfert fiscal. Les montants s’élèvent à 350 millions pour la Wallonie, 100 millions pour Bruxelles et environ 750 millions pour la Flandre : personne ne sait bien sûr à quoi ressemblera finalement le tax shift définitif, mais l’inquiétude grandit.
  • Pour préparer le terrain, le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), a entamé des discussions avec les régions. Mais lors d’une réunion en avril dernier, une « conférence interministérielle » réunissant tous les ministres du Budget et des Finances des régions et du niveau fédéral, les entités fédérées ont fait part de leurs objections. Et de leurs solutions.
  • Elles réclament une compensation pour les millions d’euros qu’elles vont perdre. Dolimont a également rédigé une note à ce sujet. Ensuite, le ministre-président wallon, Elio Di Rupo (PS), et son homologue bruxellois, Rudi Vervoort (PS), se sont joints à cette demande.
  • « C’est en réalité unilatéral : ils réclament de l’argent. Mais il y a pourtant de nombreuses décisions que nous prenons tous et qui ont un impact sur l’autre niveau », déclare un membre du gouvernement fédéral. L’irritation face à cette demande régionale, qui vient d’ailleurs du côté francophone, est grande. Car la Flandre ne réclame pas cette compensation, à moins qu’elle ne soit accordée aux deux autres régions.
    • « Tout ce qui concerne l’activation des chômeurs relève des régions. Mais cela a un impact direct sur les finances fédérales, car nous payons les allocations. »
    • « Dans l’ensemble de la discussion sur la réforme des pensions, la question de la péréquation est sur la table : l’augmentation automatique des pensions en fonction des salaires des fonctionnaires actuels. Ce sont surtout les communautés, avec leurs frais d’éducation, qui en bénéficieraient financièrement. »
    • « Autre exemple : les congés de paternité ou de soins aux personnes dépendantes pour les fonctionnaires des régions. La Flandre augmente le nombre de jours de congé, mais c’est le niveau fédéral qui paie les allocations. Devrions-nous alors recevoir une compensation ? », demande-t-on sarcastiquement au sein de la coalition Vivaldi.
  • De plus, au sein du gouvernement fédéral, on souligne un « précédent dangereux » : car si désormais chaque mesure doit être compensée par l’autre niveau, « comment pouvons-nous encore gouverner ? »
  • On y propose une alternative : les régions peuvent simplement décider d’augmenter leurs propres impôts. « Elles ont cette autonomie ».
  • Mais en même temps, tout le monde au sein de la Vivaldi souhaite remporter des trophées avec la réforme fiscale. Pour le PS et le MR, qui sont demandeurs depuis les régions, il faut donc trouver quelque chose de « créatif » pour satisfaire tout le monde.

La question : Y aura-t-il finalement des « idées créatives » pour compenser ?

  • Entre-temps, Van Peteghem a travaillé sur plusieurs propositions afin de pouvoir effectuer cette compensation de manière appropriée. Bruxelles et la Wallonie ont, eux aussi, effectué leurs calculs.
  • Ils souhaiteraient notamment réduire la TVA sur les travaux routiers et les pistes cyclables : il s’agit de dépenses des régions, mais la TVA perçue à ce titre va directement dans les caisses de l’État fédéral. Le problème pour la Wallonie et Dolimont ? La Flandre investit beaucoup plus et en bénéficierait donc proportionnellement davantage. Surtout que Sofico, la société d’investissement wallonne qui finance une partie de ces travaux routiers, récupère la TVA.
  • Il y a beaucoup d’autres points sur lesquels ils sont intéressés : le refinancement des autorités locales, nombreuses à être en difficulté financière et dirigées, bien entendu, par les mêmes partis, le PS et le MR.
  • En Wallonie, les zones de police locales pourraient également bénéficier d’une injection de fonds, voire d’une redistribution des revenus cadastraux.

L’essentiel : Toucher à la loi spéciale de financement, c’est toucher au tout, et donc à l’ensemble du système.

  • Entre le rêve et la réalité, il y a des obstacles pratiques, surtout politiques, mais aussi juridiques. Car en lançant des fonds de compensation ou d’autres mesures, on touche en réalité à tout le mécanisme de la loi spéciale de financement. « La génération actuelle de politiciens ne le comprend pas toujours très bien, mais c’est le Graal, là où tout se trouve », analysait hier une éminence grise de la Vivaldi.
  • Ce mécanisme prévoit une « responsabilisation » : les régions qui obtiennent de meilleurs résultats sur certains paramètres recevront davantage de fonds. Mais les dix premières années étaient encore largement basées sur la « solidarité » : à partir de l’entrée en vigueur de la loi en 2014, pendant une décennie supplémentaire, davantage de ressources devaient encore être allouées aux régions les plus pauvres, de manière proportionnelle.
  • Pour clarifier les choses : à partir de 2024, la Wallonie, et dans une moindre mesure Bruxelles, aura un sérieux problème financier. Cela explique pourquoi ils insistent autant sur la compensation et sur la possibilité d’un nouveau « fonds de compensation interfédéral » : chaque euro compte.
  • Mais à la Chambre, la secrétaire d’État concernée, Bertrand, a clairement indiqué que ces projets se heurtaient à la Constitution elle-même, plus précisément à l’article 175 qui régit les finances.
    • « Le principe général veut que le financement des communautés et des régions soit régi par une loi adoptée à la majorité spéciale », a déclaré Bertrand la semaine dernière, en réponse aux questions du député N-VA Sander Loones. Une majorité spéciale signifie : les deux tiers des voix à la Chambre et une majorité dans chaque groupe linguistique.
    • « En tant que juriste, je peux affirmer que la création d’un tel fonds sans majorité spéciale des voix est contraire à la Constitution. »
    • « Il faudrait donc une certaine créativité juridique pour créer un tel fonds de compensation », a-t-elle répondu avec un certain cynisme.
    • Elle n’est clairement pas favorable à cette idée : « Sur le plan du fond, cela constituerait également une rupture fondamentale avec les principes de base de notre fédéralisme, basé sur les principes d’autonomie et de responsabilité. »
  • Loones et la N-VA, depuis l’opposition, observent évidemment avec intérêt le débat : toute la méthode d’un tel « fonds de compensation extralégal » serait sans précédent dans la boîte à outils des techniques institutionnelles (qui pourraient également servir à une éventuelle réforme de l’État). « Mais c’est ce que la Wallonie propose maintenant : obtenir des fonds fédéraux supplémentaires avec une simple majorité, alors que la Constitution exige une majorité spéciale. »
  • « Ce serait un précédent notable qui pourrait être très pertinent à l’avenir », a déclaré Loones. Son président, Bart De Wever (N-VA), avait lui aussi proposé il y a quelques mois de réaliser la prochaine réforme de l’État « de manière extralégale » ou en contournant la Constitution.
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