La défense de l’OTAN en Europe centrale a longtemps reposé sur l’Allemagne. Mais si Berlin reste une base logistique et industrielle capitale, c’est plutôt Varsovie qui a repris l’épée et le rôle de champion dans l’Alliance atlantique. L’armée polonaise est nombreuse, très bien équipée et réactive aux crises. En outre, le pays est politiquement beaucoup moins tenté par le compromis vis-à-vis de Moscou.
Comment la Pologne est devenue le nouveau pilier de la défense de l’Europe

Pourquoi est-ce important ?
La Pologne et la Russie partagent une histoire des plus tourmentées. C'est aussi le cas d'une large partie de l'Europe centrale et orientale, où l'empire des tsars puis des soviets a toujours été perçu comme un danger. Mais à l'inverse des pays baltes par exemple, la Pologne n'a eu de cesse de se donner les moyens de se protéger, devenant, de facto, un pilier de plus en plus solide de l'OTAN à l'est.Dans l’actualité : la semaine dernière, la Pologne s’est crue sous attaque quand un missile s’est écrasé près de sa frontière orientale, tuant deux personnes ; de quoi réveiller le spectre d’une activation de l’article 5 de l’OTAN, qui stipule qu’une attaque contre un membre de l’Alliance est une attaque contre toute l’Alliance. Mais Varsovie a gardé la tête froide, jusqu’à ce qu’il s’avère qu’il s’agissait là d’un tragique accident causé par un missile sol-air ukrainien tiré pour intercepter un projectile russe.
- L’un des piliers de l’OTAN en Europe a longtemps été l’Allemagne – à l’époque la RFA. Doté d’une base industrielle solide et largement consacrée à l’armement de pointe, et à partir des années 1960 d’une armée nombreuse, ce pays était en première ligne face au bloc de l’est en cas d’embrasement.
- Mais les temps ont changé : le monde politique allemand est généralement frileux voire divisé sur les questions d’ordre militaire, le réarmement étant toujours un sujet tabou dans le pays, avec une opinion publique généralement hostile aux projets d’ampleur.
- En outre les alliances ne sont plus les mêmes et l’Europe centrale et occidentale a largement adhéré à l’UE comme à l’OTAN. La frontière orientale de l’Alliance atlantique est maintenant celle de la Pologne.
Le contexte : Varsovie a déclaré qu’elle allait porter son objectif de dépenses de défense de 2,4 % du produit intérieur brut à 5 %, soit bien plus que les 2% demandés par Washington à ses partenaires. En comparaison, l’Allemagne avait consacré environ 1,5 % de son PIB à la défense l’année dernière. Et malgré un effort annoncé de 100 milliards d’euros après l’invasion russe en Ukraine, Berlin n’est pas certain de pouvoir monter aux 2% dans la durée, une fois cette enveloppe épuisée.
Modernisation rapide et gros bataillons
- L’armée polonaise compte environ 150.000 hommes, dont 30.000 dans le cadre d’une nouvelle force de défense territoriale fondée en 2017, sur un modèle proche de celles mises en place par l’Ukraine et qui ont prouvé leur efficacité.
- Du côté de l’équipement, l’armée polonaise n’avait pas renoncé à la masse de matériel : elle disposait avant 2022 de centaines de chars, une force devenue rare en Europe.
- Parmi ceux-ci, 232 PT-91 Twardy, un modèle national et 301 T-72 d’origine soviétique. Au moins deux centaines de chars ont été cédés à l’Ukraine.
- Mais si Varsovie offre à son voisin ces chars plus anciens, c’est contre la promesse d’un remplacement solide : 250 M1 Abrams américains ont été commandés, pour 23 milliards de złoty (4,9 milliards d’euros).
- Il faut aussi compter 249 Leopard II d’origine allemande, toujours considérés comme des engins redoutables.
- Varsovie veut aussi renforcer son artillerie, en particulier avec le système américain de lance-missiles HIMARS, qui a largement fait ses preuves en Ukraine. L’armée polonais en a commandé 200 et, face à une offre qui ne suit pas la demande, va diversifier ses systèmes en se fournissant aussi chez le Coréen Hanwa Defense, qui doit lui livrer 288 systèmes de missiles Chunmoo – ainsi que 180 chars K2 Black Panther et 200 obusiers K9 Thunder.
- Du côté de l’aviation, elle est largement au niveau occidental, avec 48 F-16. En 2020, le pays a également commandé 32 chasseurs F-35. pour 4,6 milliards de dollars. Sans compter là aussi une flotte d’origine soviétique que le pays était prêt a céder à l’Ukraine, ce qui ne s’est pas fait par crainte de l’escalade.
Réactivité face aux crises
« Les Polonais ont une attitude beaucoup plus positive envers leur armée que l’Allemagne, car ils ont dû se battre pour leur liberté. Dans les cercles militaires, personne ne remet en question la qualité de l’armée polonaise. »
Gustav Gressel, ancien officier militaire autrichien présent Conseil européen des relations étrangères, pour Politico.
Le rappel : durant l’automne 2021, quelques mois avant l’invasion de l’Ukraine, les pays d’Europe orientale – les républiques baltes, la Pologne, et dans une moindre mesure la Finlande – ont été confrontés à un afflux de réfugiés vraisemblablement orchestré par Minsk, et en sous-main par Moscou. Ce fut un drame humanitaire ; mais la réponse rapide de l’armée polonaise, mobilisée pour protéger sa frontière, avait beaucoup impressionné, en particulier face aux provocations biélorusses.