Il n’y a pas un jour sans qu’un partenaire de la Vivaldi ne court-circuite la fragile solidarité fédérale. Chacun y va de ses solutions pour le pouvoir d’achat en vue des discussions budgétaires. Plus tôt cette semaine, c’était du côté des socialistes. Cette fois, ce sont les écologistes. Pour le co-président d’Ecolo, Jean-Marc Nollet, « pas question de surinvestir dans la défense. On dit stop ». Nollet se réfère à un projet porté par le Premier ministre Alexander De Croo, qui veut permettre à la Belgique de dégager une enveloppe supplémentaire de plusieurs milliards d’euros pour atteindre les 2% du PIB alloué à la défense – une exigence de l’OTAN. Cette initiative sera rediscutée au kern, ce vendredi. La réaction des socialistes francophones, en particulier, est attendue, puisqu’ils disposent, avec Ludivine Dedonder, du portefeuille de la Défense.
Dans l’actu: Ecolo a coupé l’herbe sous le pied du Premier ministre. Pas question de répondre à l’exigence de l’OTAN d’investir 2% du PIB dans l’armée.
Le détail: Jean-Marc Nollet se réfère à l’accord passé: le réinvestissement dans la défense a déjà été acté.
- « Suivre la demande de l’OTAN et surinvestir dans l’armée ? Pour les verts, c’est non. La Belgique a d’autres priorités », entame Jean-Marc Nollet, dans La Libre ce matin. Pas question de mettre sur la table des milliards d’euros supplémentaires pour la défense, pour porter son budget à 2% du PIB d’ici 2035.
- L’initiative émane du Premier ministre, en vue du sommet de l’OTAN de Madrid, prévu en juin prochain. L’OTAN exige que chaque membre alloue 2% de son PIB aux dépenses militaires. Mais dans les faits, peu de pays rencontraient cette demande. Seule une poignée de pays de l’OTAN le faisaient : les États-Unis, le Royaume-Uni, les États baltes, la Pologne, la Roumanie, la Grèce et la France.
- La Belgique, avec 1,12% du PIB alloué à la défense, était le 3e plus mauvais élève de la classe. Seuls l’Espagne et le Luxembourg faisaient pire.
- Cette proportion a changé en mars dernier, suite à un accord au sein de la Vivaldi pour créer une enveloppe pluriannuelle de 10 milliards d’euros qui ferait passer le budget de la défense à 1,51% du PIB.
- La guerre en Ukraine a changé la donne. De nombreux pays de l’OTAN ont boosté leur budget militaire. L’exemple le plus marquant est sans nul doute l’Allemagne, qui a dégagé une enveloppe de 80 milliards d’euros pour porter son budget aux fameux 2%.
- Mais la pression se fait encore plus intense: pour un nombre croissant de pays de l’OTAN, la norme des 2% est désormais un minimum absolu. Durant le dernier sommet, un lobbying intense a été exercé pour relever cette proportion. La question reviendra sur la table lors du sommet de Madrid.
- La Belgique est particulièrement observée: seuls quatre pays – le Canada, le Portugal, la Belgique et le Luxembourg – n’ont pas encore dévoilé leurs plans pour atteindre ces fameux 2%. D’où la précipitation du Premier ministre sur ce dossier.
- Pour le co-président d’Ecolo, Jean-Marc Nollet, qui a répété son message ce matin sur La Première, pas question de suivre aveuglément cette course à l’armement. L’écologiste s’en réfère au précédent accord, une augmentation « nécessaire », selon lui, qui « est la plus importante en 30 ans ! ». Il ajoute que « la Belgique doit prendre sa juste part. Écolo et Groen ont travaillé à cet accord. »
- Mais les racines pacifistes du mouvement écologiste remontent à la surface: « La situation est totalement disproportionnée : les dépenses militaires de la Russie, c’est 65,9 milliards annuels en 2021. Et l’OTAN ? 1.157 milliards… Ce n’est pas l’augmentation du budget belge qui fera la moindre différence », argumente le Carolo.
- L’écologiste estime que la défense doit se jouer au niveau européen, même si cela doit rester au sein même du vaisseau OTAN, pour collectiviser les dépenses et ainsi empêcher les doubles emplois. Chaque armée aurait ses propres spécificités en d’autres termes, pour former un tout homogène. Un symbole militaire est resservi à souhait pour illustrer le non-sens européen : les différentes armées européennes ont 12 modèles de chars différents quand les États-Unis n’en ont qu’un seul. Une absurdité qui est loin d’être unique.
- Cette volonté fait d’ailleurs écho au plan européen REPowerEU, présenté hier par la Commission, et qui entend, dans son volet militaire, regrouper les achats, comme l’Europe l’a fait pour les vaccins durant la crise sanitaire.
- La Commission veut aussi pousser les États à acheter Européen: pour l’heure, 60% du matériel militaire est acquis en dehors de l’UE. Faire tourner l’industrie européenne aurait des avantages évidents en termes économiques pour le Vieux continent, plutôt que de se retourner continuellement vers le cousin américain. L’UE proposerait des incitants comme l’exemption de la TVA, mais la décision revient bien sûr, comme toujours, à chaque État dans les compétences régaliennes.
En réalité : la défense belge effectue déjà de nombreux achats « en commun » avec ses voisins.
- En fait, la Belgique préfère déjà coopérer avec ses voisins pour ses achats de défense. Et tout à fait dans la tradition de l’armée tricolore, la marine est plutôt à dominante néerlandophone (la mer du Nord est en Flandre) et il y a surtout une coopération avec la marine néerlandaise. Deux nouvelles frégates y sont prévues, de même type que les navires néerlandais. Une troisième était prévue, mais le gouvernement De Croo ne voulait pas en entendre parler à l’automne, alors que la loi de programmation devait être votée. Maintenant qu’un budget encore plus important va être ajouté, c’est peut-être possible.
- L’armée de l’air est également de nouveau orientée vers les Pays-Bas : l’achat de F-35 à Lockheed Martin sont de fabrication américaine, mais il nous donne un accès étroit à la technologie du grand-frère américain. Il s’agit surtout d’une nouvelle coopération avec nos voisins du nord, qui ont fait le choix de ce chasseur de cinquième génération beaucoup plus tôt.
- Pour l’armée, c’est le contraire : elle est plutôt francophone, en ce qui concerne l’ambiance et le leadership. Ici, pour la Grande Muètte, ou l’armée de terre, la France est le guide : ils recherchent des synergies avec l’Armée de Terre française.
Le contexte: la réponse du PS est attendue. Le MR soutient la décision du Premier ministre.
- Une fois n’est pas coutume: le président du MR soutient à 100% le Premier ministre : « Alexander De Croo a compris les enjeux internationaux en matière de défense. Il faut augmenter nos dépenses militaires afin d’être des partenaires fiables au sein de l’OTAN, dont l’importance n’est pas à prouver en ces temps troublés. Stop à l’angélisme ». Georges-Louis Bouchez fait coup double. Il peut aussi s’en prendre à sa cible préférée: les écologistes.
- L’initiative de De Croo a déjà été portée au Kern de vendredi dernier. Il a suscité, on l’aura compris, le rejet des écologistes, tant de chez Ecolo que de chez Groen, et le soutien des libéraux. Du côté des socialistes, on tempère, le sujet manque de précision au niveau des chiffres et doit faire l’objet de nouvelles discussions ce vendredi.
- Leur attitude sera surveillée de près. Parce que d’un côté, c’est une socialiste, Ludivine Dedonder, qui détient le portefeuille de la défense. Le PS a été le parti le plus insistant pour pousser l’accord d’avril dernier – le plan Star – afin d’augmenter, entre autres, les salaires des militaires.
- Mais la loi qui le concrétise n’a pas encore été adoptée. Ce qui fait dire au vice-premier ministre socialiste, Pierre-Yves Dermagne, que ces discussions autour des 2% « pourront intervenir plus tard », l’urgence étant d’abord d’acter le premier plan. Il n’y a toutefois pas eu de rejet formel.
L’essentiel: la question clé reste le pouvoir d’achat.
- Il est frappant de voir comment Jean-Marc Nollet a justifié son refus d’allouer de nouveaux milliards d’euros à la défense, dans La Libre: « Les finances belges ne sont pas capables d’absorber de telles dépenses sans mettre en danger les politiques sociales et environnementales existantes et celles nécessaires pour faire face à la crise. »
- « Vu les besoins, c’est indécent d’imaginer mobiliser autant d’argent pour la Défense », ajoute-t-il, profitant de l’occasion pour répéter les mesures envisagées par les Verts pour soutenir le pouvoir d’achat des Belges: « L’instauration d’un crédit d’impôt pour relever les bas et moyens salaires ; l’accroissement de l’offre alternative à la voiture ; le relèvement des allocations pour les personnes isolées. »
- Sur La Première, on comprend, au travers des explications de Jean-Marc Nollet, à quel point les écologistes et les socialistes sont sur la même ligne sur le pouvoir d’achat.
- La taxe sur les grandes fortunes, une bonne idée ? « La taxation des 4 ou 5% des plus riches fait partie du corpus programmatique depuis toujours. Il y a un momentum dans le cadre des travaux budgétaires. L’accord de gouvernement dit ‘pas de nouveaux impôts ou de réformes fiscales’, sauf dans le cadre de l’exercice budgétaire. On y arrive. »
- L’écologiste plaide comme les socialistes, mais aussi le CD&V, pour porter l’imposition la plus forte sur les épaules les plus larges, afin de soutenir « les ménages précaires et la classe moyenne ». Cette dernière catégorie de personnes est décidément sur toutes les lèvres des partenaires de la Vivaldi. À la seule différence que le MR, surtout, se refuse à créer de nouvelles taxes. Les libéraux veulent soulager les ménages en baissant les impôts. Son président le répète à qui veut l’entendre.
- Comme pour les dépenses militaires, c’est quelque peu paradoxal. Comment allouer des budgets supplémentaires sans dégager de nouvelles recettes ? En alourdissant le déficit et la dette, ce qui est souvent reproché aux socialistes. On peut aussi le faire en réduisant les dépenses publiques dans d’autres secteurs, en rendant nos institutions plus efficaces par exemple. Mais ce chantier là se fait attendre depuis des temps immémoriaux.
- Au sein de la Vivaldi, on voit bien que chaque partenaire tente de tirer la couverture vers soi, en mettant sur la table ses solutions miracles, en vue de ce momentum. Rappelons que le Premier ministre a fait appel à une task force – gagner du temps dans le langage de la rue de la Loi – qui doit rendre ses conclusions pour le mois de juin. Comme toujours, il faudra dégager un consensus qui a toutes les chances de devenir le plus petit des dénominateurs communs. C’est le prix à payer pour la survie de la Vivaldi.
Ambitieux : « Nous pouvons devenir un modèle au cœur de l’Europe », voilà comment le ministre-président wallon Elio Di Rupo (PS) voit la Wallonie dans le futur.
- Le fier coq wallon n’a-t-il pas chanté un peu trop fort hier au Parlement de Wallonie ? Le vieux guerrier du PS, Elio Di Rupo, pour la énième fois ministre-président, a été particulièrement incisif sur son « État de la Wallonie ». Le fait que l’ensemble de l’opposition, deux partis, à savoir Les Engagés et le PTB, soient restée absente parce qu’ils ont qualifié son gouvernement de « trop lent » et « prévisible », avait clairement mis Di Rupo sur la défensive.
- L’ancien Premier ministre n’y a donc pas été de main morte propos de sa région. Entre autres, il en a assez de la comparaison avec la Flandre : « Il faut arrêter l’autoflagellation et la comparaison avec des régions qui n’ont pas notre histoire industrielle, ni les mêmes caractéristiques que la nôtre. »
- Mais ce faisant, il s’est montré grandiloquent : « Nous devons prouver que les prophètes de malheur ont tort et nous devons être capables de les faire taire. Nous pouvons devenir un modèle au cœur de l’Europe. La Wallonie en sortira gagnante », a-t-il promis à sa majorité.
- La question est de savoir qui le croit encore vraiment dans ce discours. Pendant ce temps, la Wallonie en est à son sixième plan de relance en 20 ans. Le budget est dans le rouge vif et la charge des intérêts sur la montagne de dettes, qui s’alourdit pour l’instant avec l’inflation, menace de devenir une corde autour du cou si les taux d’intérêt augmentent fortement.
- Pas plus tard qu’hier, Di Rupo a immédiatement présenté son conclave budgétaire. La tâche est considérable : il veut trouver 505 millions d’euros avec son équipe, en économies ou en impôts supplémentaires. Après tout, le déraillement du budget devient trop important, s’élevant à pas moins de 4,1 milliards d’euros, et la situation s’aggrave. La Wallonie dépense un quart de plus que l’ensemble de ses revenus, selon Le Soir. La charge de la dette approche les 30 milliards d’euros.
- C’est d’ailleurs le totalement inexpérimenté Adrien Dolimont (MR) qui, en tant que ministre du Budget, doit mener le dossier. Il a été introduit dans le gouvernement wallon par Georges-Louis Bouchez, lorsque Jean-Luc Crucke (MR) en avait tellement assez de son président qu’il est passé à la Cour constitutionnelle.