Après la plus grande pandémie depuis 100 ans, la plus grande menace d’inflation depuis 50 ans : la « mère de tous les chocs énergétiques » est-elle en préparation ?

Les prix de l’énergie ont augmenté si rapidement la semaine dernière que les prévisions des économistes étaient déjà dépassées lorsqu’elles ont été publiées. Alors que la guerre en Ukraine s’intensifie, ils utilisent de plus en plus le redoutable mot en S: la Stagflation. « Le conflit avec la Russie est un nouveau pas sur le chemin du retour aux années 1970 », pensent certains. Un état de fait.

Où nous sommes maintenant

  • Le prix du pétrole à Londres est passé de 94 à 118 dollars le baril depuis le 23 février, la veille de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cela représente une augmentation de 25 %. De tels niveaux de prix n’ont plus été vus depuis 2008. Au début de l’année, un baril de pétrole ne coûtait qu’environ 80 dollars.
  • Le prix du gaz en Europe connaît une augmentation encore plus spectaculaire et a plus que doublé depuis le 23 février : il est passé de 88 euros par mégawattheure à un pic record de 212 euros vendredi après-midi. Par rapport à il y a un an (moins de 17 euros), ce chiffre a été multiplié par douze environ.
  • Et ce que le consommateur belge remarquera immédiatement : le prix à la pompe passe pour la première fois à plus de 2 euros par litre.

Ce qui peut encore venir

Ce qui n’est pas très rassurant, c’est que les prix de l’énergie atteignent des niveaux record avant même que la Russie et l’Occident aient joué leur plus grand atout.

  • La Russie n’a pas encore fermé le robinet de gaz à l’Europe occidentale.
  • L’Occident n’a pas encore déclaré le boycott des produits énergétiques russes. Les sanctions occidentales sont principalement dirigées contre les oligarques et les grandes banques russes ; le pétrole et le gaz ne sont pas (encore) concernés.

Les choses pourraient donc se resserrer un peu sur les marchés de l’énergie. Les deux parties peuvent rompre le cessez-le-feu sur les fournitures d’énergie si la situation militaire s’aggrave. Cela irait à l’encontre du but recherché, car la Russie a besoin des revenus énergétiques et l’Europe reste dépendante du gaz russe à court terme.

« Pour l’instant, le pétrole et le gaz continuent d’affluer dans l’UE, mais que se passera-t-il si Poutine ferme le robinet de l’énergie ? », s’interrogent également les économistes de Belfius dans une analyse. « Contrairement au pétrole, il existe peu d’alternatives à court terme pour remplacer les importations de gaz russe. L’Europe pourrait, par exemple, importer davantage de gaz liquéfié (GNL) des États-Unis et du Qatar. Mais il ne serait pas moins cher, car la demande de GNL en provenance d’Asie est forte. »

Les conséquences économiques

Le groupe de réflexion Oxford Economics a intégré l’hypothèse d’un gel du gaz russe – six mois sans gaz à destination de l’Europe – dans son modèle économique et est parvenu aux conclusions suivantes :

  • Les prix du gaz resteraient alors à leur niveau record actuel pendant toute l’année.
  • Les négociants en énergie devront payer une prime de risque sur le pétrole, ce qui maintiendra le prix du pétrole au-dessus de 100 USD par baril pendant toute l’année.
  • L’inflation dans la zone euro devrait atteindre le niveau record de 6,6 % pour l’ensemble de l’année 2022, l’inflation au Royaume-Uni atteignant même 8,5 % en glissement annuel.
  • La zone euro afficherait toujours une croissance économique (+2,2 % en 2022), mais beaucoup moins que ce que l’on pensait auparavant. Cette croissance ralentirait encore en 2023.

« C’est un scénario sombre, mais pas notre plus sombre », ajoute pessimiste Oxford Economics. « Si le conflit en Ukraine s’étend à d’autres pays, l’impact sera économiquement et socialement dévastateur. Mais les conséquences seront alors impossibles à quantifier. »

Le redoutable mot en S : stagflation

Dans les prévisions des économistes et des gestionnaires d’actifs, le mot en S apparaît de plus en plus souvent : la stagflation, ou la mauvaise combinaison de la stagnation économique et d’une forte inflation. La deuxième composante semble difficile à éviter, mais la première n’est pas un fait établi pour le moment, estiment les économistes, comme le montre également la simulation d’Oxford.

« Le risque de stagflation d’ici la fin 2022 augmente », écrit Amundi vendredi. Selon le gestionnaire d’actifs, des « forces stagflationnistes » sont déjà à l’œuvre aujourd’hui, mais il n’y a pas encore de véritable stagflation.

Beaucoup dépendra de la durée de la guerre et de l’impact qu’elle aura sur la confiance des consommateurs et des entreprises. Si nous avons des mois d’usure, les chances d’une stagflation généralisée augmenteront, pense la maison de courtage.

Le tableau général : un nouvel ordre mondial

Selon Pascal Blanqué, stratégiste d’investissement chez Amundi, le conflit russo-ukrainien s’inscrit dans une tendance plus large qui ramène l’économie mondiale aux années 1970, période des chocs pétroliers et de l’inflation galopante. Il n’est pas le seul à être de cet avis. Blanqué recommande donc de mettre de côté tout état d’esprit traditionnel sur l’économie et la finance. « Plus important encore, les investisseurs doivent garder à l’esprit que nous ne vivons pas en temps normal », dit-il.

« Nous sommes au milieu d’un changement caractérisé par des forces inflationnistes sans précédent que nous n’avons pas vues au cours des cinq dernières décennies… ».

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