Le Chips Act, visant plus d’indépendance européenne en matière de production de puces, a été présenté mardi. L’Europe a déjà quelques poids lourds en matière de conception. Cependant, elle fait face à des défis de taille : désert presque total d’usines de production, et concurrence pour attirer les géants. De quelles puces aura-t-elle vraiment besoin?
La crise sanitaire a mis a nu de nombreux problèmes structurels, dont l’équilibre mondial du marché des puces, et l’écrasante domination de Taïwan en particulier et de l’Asie en général. Un secret pour personne avant la pandémie, mais avec les soucis d’approvisionnement, les autres continents ont pris la volonté de ramener la production en leur sein et de s’affranchir de cette dépendance, car l’approvisionnement peut à tout moment basculer et laisser les pays à sec, alors que les puces et semi-conducteurs sont primordiaux pour une longue liste d’appareils d’un usage quotidien.
Ainsi, des enveloppes sont mises sur la table. Biden va investir 52 milliards de dollars dans le développement des activités, la loi a été adoptée vendredi passé par la Chambre des Représentants. L’Europe a annoncé mardi injecter 43 milliards d’euros dans le secteur (si les instances législatives donnent leur aval), avec l’objectif de quadrupler la production d’ici 2030, pour atteindre 20% des parts du marché (contre 10% aujourd’hui). Aussi, l’Europe table sur les puces du futur, moins énergivores et plus petites (moins de 5 nanomètre, contre 22 aujourd’hui), et à la pointe de la technologie. Le texte s’intitule le « Chips Act »
Recherche : la cavalerie européenne
L’Europe a tout de même déjà de sérieux atouts. La firme hollandaise ASML est notamment numéro un mondial de la conception de robots et de machines qui produisent des puces. De l’excellence belge est également dans ce potentiel européen, avec l’IMEC (Institut de microélectronique et composants) de Leuven. Dans le monde, près de 5.000 personnes travaillent pour ce centre de recherches à la pointe.
11 milliards d’euros (moitié UE moitié Etats membres) du budget du Chips Act sont d’ailleurs prévus pour la recherche, comme subventions.
Manufacture : le désert européen
Donc côté recherche, l’Europe peut partir d’une bonne base. Mais côté manufacture, c’est plus compliqué. Tout est à (re)faire. Et donc, l’affranchissement, ce n’est pas pour tout de suite. L’Europe aura besoin des géants, asiatiques surtout, ou aussi américains, et veut les appâter avec des enveloppes épaisses. Les pays peuvent ainsi donner des aides jusqu’à 30 milliards d’euros aux entreprises qui veulent venir implanter des usines en Europe. Une entorse aux règles européennes, rapporte Le Soir, mais accompagnée de conditions : investissement dans puces de prochaine génération, contribution à la sécurité d’approvisionnement du continent et intégration dans un écosystème européen de fournisseurs et de PME, pour retombées économiques dans toute l’Europe et pas uniquement dans le pays en question.
L’Europe pourrait-elle miser sur ces acteurs maison pour atteindre la production de puces à la pointe de la technologie? « Les acteurs de l’UE sont aujourd’hui bloqués à 22nm et il est irréaliste de penser que les acteurs locaux de l’UE peuvent rattraper le retard de 22nm (nanomètres) à 2nm », explique Peter Hanbury, spécialiste en micropuces pour la société de recherches Bain à CNBC. A l’oeil nu, la différence est bien sûr invisible, mais en termes de puces, il y a des années, ou des « générations », comme en dit dans le jargon, d’écart.
Et rattraper cet écart, et atteindre 20% des parts de marché, est un défi de taille pour l’Union Européenne, estime Geoff Blaber, CEO de CCS Insights, relié par le média américain. Il souligne aussi que développer la manufacture est le plus grand challenge.
Mais finalement, si ce défi-là est déjà de taille, un autre l’est tout autant. Plusieurs pays se sont réveillés de la pandémie avec cette ambition de devenir (plus) auto-suffisants en matière de puces. Et donc la concurrence pour attirer les géants sera également rude, ce qui donnera aux géants une position favorable pour négocier. Intel a cependnat déjà indiqué vouloir établir une usine en Europe, et TSMC serait également sur cette voie.
Quelles puces pour quel produit?
Un autre point à souligner dans le problème européen des puces est que différentes puces sont prévues pour différents usages. Tout ce qui ordinateur et smartphones a besoin de puces très avancées, or, ces derniers sont moins produits en Europe. Quelle serait alors la stratégie derrière la production de puces de 2nm? Dominer le marché, pour les revendre les puces là où des manufactures de tels appareils ont en besoin? Ces régions asiatiques s’appuient déjà sur le réseau local de puces, et ne vont sans doute pas vouloir devenir dépendantes d’une autre région. Etendre ce type de production en Europe, et ainsi créer un marché pour ces puces spécifiques?
En matière automobile, l’Europe compte encore de nombreux sites de production. Les usines ont cruellement besoin de puces, comme l’a pu montrer la crise des semi-conducteurs, qui a particulièrement touché le secteur automobile (les usines asiatiques ont moins été exposées). Or, les voitures ont besoin de puces plus rudimentaires que celles de 2nm. Est-ce que l’Europe va alors avant tout essayer de récupérer les usines de production de puces spécifiques aux voitures?
Pénurie : la forteresse européenne?
Finalement, le texte présenté par la Commission inclut encore la limitation des exportations. Imaginons : la production sur notre continent est effectivement bien rodée en 2030, et une quelconque crise vient bloquer les approvisionnements internationaux. L’Europe pourrait alors bloquer les exportations et garder ses puces pour ses propres besoins. Un élément que Thierry Breton, commissaire du marché intérieur, juge important pour équilibrer les échanges, même s’il dit qu’il s’agit d’un dernier ressort, et que des négociations avec les partenaires seront toujours d’application.
C’est qu’en fin 2020 – début 2021, les Américains avaient bloqué l’exportation de certains produits élémentaires à la production du vaccin, laissant un arrière-goût amer aux Européens. Tout comme les exportations en masse de vaccins fabriquées en Europe vers le Royaume-Uni, qui n’en envoyait pas autant que promis en retour.