Depuis plusieurs mois, plusieurs membres de l’Union européenne, dont la France, font pression pour intégrer l’énergie nucléaire et le gaz naturel à la taxonomie verte européenne. Un document circule à Bruxelles: il propose comment procéder, concrètement. Des milliards de subsides sont en jeu.
Spécialisé dans l’actualité liée à l’Union européenne, le média Euractiv indique avoir mis la main sur un document circulant à Bruxelles qui indique comment le nucléaire et le gaz naturel pourraient potentiellement être intégrés à la taxonomie verte européenne. Il s’agirait d’une note libre (non-paper), un document informel utilisé dans le cadre de négociations.
Notons tout d’abord qu’Euractiv ne connaît pas l’origine du document. On sait néanmoins qu’une bonne dizaine de membres de l’Union européenne soutiennent clairement le nucléaire. Le mois dernier, la France, la Roumanie, la République tchèque, la Finlande, la Slovaquie, la Croatie, la Slovénie, la Bulgarie, la Pologne, la Hongrie avaient ainsi cosigné une tribune pro-nucléaire. Selon eux, le nucléaire « contribue de manière décisive à l’indépendance de nos sources de production d’énergie et d’électricité » et « protège les consommateurs européens de la volatilité des prix » tout en permettant de « générer près d’un million d’emplois très qualifiés en Europe » si le secteur se développait davantage.
En outre, à l’initiative de Paris, les dix nations citées ci-dessus (à part la Croatie), accompagnées cette fois par la Grèce, Chypre et Malte, se sont réunies à la mi-octobre pour débattre du nucléaire et du gaz naturel dans le contexte de la taxonomie européenne, selon un diplomate européen. Un enjeu crucial, puisque c’est cette classification qui permet de faire bénéficier (ou non) de financements européens aux différentes sources d’énergie. La France travaillerait ainsi en coulisses pour forger un compromis sur la taxonomie qui satisferait les partisans du gaz et de l’énergie nucléaire.
Le gaz naturel comme élément de transition
D’après le document, l’objectif est de réussir à faire qualifier le gaz naturel parmi les « activités de transition », c’est-à-dire celle menant une économie zéro émission nette en 2050 mais qui ne suivent pas encore la trajectoire de la neutralité carbone. La proposition est assortie d’une clause de caducité jusqu’au 31 décembre 2030 pour la mise en service de nouvelles centrales.
Pour être considérées comme éléments de transition parmi la taxonomie verte européenne, les centrales à gaz et les centrales de cogénération devraient émettre, sur l’ensemble du cycle de vie, des émissions inférieures à 100 grammes d’équivalent CO2 par kilowattheure. Ce critère avait déjà été avancé l’an dernier, mais il avait été jugé trop strict par un groupe de dix pays européens favorables au gaz, qui avaient menacé d’opposer leur veto à la proposition.
Dès lors, si elles ne parviennent pas à remplir ce premier objectif, d’autres critères permettraient à ces centrales d’entrer dans la catégorie « activité de transition ».
Pour les centrales à gaz:
- Emissions directes inférieures à 340gCO2/kWh, et
- Emissions annuelles inférieures à 700 kgCO2/kW.
Pour les centrales de cogénération:
- Emissions sur le cycle de vie inférieures à [250-270] gCO2e par kWh, et
- Economies d’énergie primaire de 10% par rapport à la production séparée de chaleur et d’électricité.
Le nucléaire comme énergie verte
Le document propose également de faire passer l’énergie nucléaire parmi les énergies vertes de la taxonomie européenne. Pour ce faire, il s’appuie sur les recommandations du Centre commun de recherche (CCR) de l’UE. Dans un rapport publié en juillet, il a conclu que l’énergie nucléaire était sûre et qu’elle pouvait donc bénéficier d’un label vert de la part de l’UE.
La note ne détaille pas les critères de durabilité à atteindre par les centrales nucléaires, mais propose de répartir ses activités de production en cinq catégories:
- Exploitation des centrales nucléaires (production d’électricité au moyen de réacteurs nucléaires): construction, mise en service exploitation et démantèlement des centrales nucléaires
- Stockage provisoire ou élimination définitive de déchets radioactifs ou de combustible nucléaire usé
- Extraction et traitement de l’uranium
- Traitement du combustible nucléaire usé (activité habilitante)
- Cogénération nucléaire à haut rendement
« Une honte scientifique »
Face à la fuite de ce document, la branche européenne du WWF, l’ONG vouée à la protection de l’environnement et au développement durable, a vivement réagi.
« Cette proposition est une honte scientifique qui porterait un coup fatal à la taxonomie », a déclaré Henry Eviston, porte-parole pour la finance durable au bureau des politiques européennes du WWF.
« Elle porterait gravement atteinte à l’agenda de l’UE en matière de finance durable et au Green Deal de l’UE. La Commission doit fermement la rejeter et tous les États membres doivent s’y opposer », a-t-il ajouté.
Il y a deux semaines, à l’issue d’un sommet entre dirigeants européens au sujet de la politique énergétique à adopter, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a cité le nucléaire et le gaz naturel parmi les sources d’énergie du bouquet énergétique de demain Sans préciser s’ils seront considérés comme durables dans le cadre de la finance verte. Elles les a toutefois qualifiés de « stables », indiquant que l’UE en « avait besoin ».