La Chine fait pression sur la Lituanie, coupable à ses yeux de favoriser les « séparatistes » de Taïwan. Et les premières pressions économiques se font jour. C’est la première fois que la Chine cible ainsi un pays européen. Au risque de jeter un froid avec… La Russie.
Le mois dernier, la Lituanie annonçait qu’elle allait recevoir sur son sol une représentation officielle et permanente de Taïwan, devenant ainsi le seul pays de l’Union européenne depuis 18 ans à reconnaître des relations autres que commerciales avec l’île du Pacifique considérée par Pékin comme une province rebelle. Un geste qui a attiré les foudres de l’Empire du Milieu, qui prévenait la petite république « qu’elle ne devait pas envoyer de signaux trompeurs aux forces indépendantistes de Taïwan ». Une menace à peine voilée et prise au sérieux, dans le pays.
Depuis, la République populaire de Chine est passée à l’étape supérieure: et le Global Times, le site d’information anglophone aux couleurs chinoises, mène l’offensive. « Il serait illusoire pour le gouvernement lituanien de penser qu’il peut provoquer les intérêts fondamentaux de la Chine sans en payer le prix. […] Le meilleur plan d’action est que le gouvernement lituanien corrige immédiatement sa mauvaise décision ou poursuive sur sa lancée et fasse clairement savoir à son peuple quel en sera le prix. » peut-on y lire dans un article annonçant le retrait de l’ambassadeur chinois en Lituanie, et l’appel à Vilnius à faire de même avec ses diplomates.
La valse des trains et des ambassadeurs
Une mesure éminemment symbolique accompagnée d’autres, économiquement bien plus concrètes : la compagnie de fret ferroviaire China Railway Container Transport Co aurait annoncé la semaine dernière qu’elle suspendait tout trafic à destination de la Lituanie. Avant que la compagnie nationale des chemins de fer chinois ne démente cette initiative de sa filiale, toujours selon la version des faits rapportée par le Global Times.
L’agence nationale lituanienne de la sécurité alimentaire et vétérinaire a entretemps annoncé que les négociations en vue de nouveaux accords d’exportation vers la Chine sont devenues de plus en plus difficile tout au long de l’année, jusqu’à atteindre le point mort. Aucune nouvelle validation n’a pu être obtenue pour un aliment lituanien. « Jusqu’à présent, notre bureau n’a pas reçu directement de questions supplémentaires ou d’indications que quelque chose s’est arrêté, mais il y a un mois, les Chinois nous ont contactés et ont donné une liste de non-conformités, et l’un de nos exportateurs de bière a été retiré de la liste [des entreprises] autorisées à fournir des produits à la Chine » confiait à Baltic Times le directeur de l’agence, Mantas Staskevicius.
La Russie, victime collatérale
Voila qui ressemble bien aux prémisses d’une guerre commerciale larvée entre Pékin et Vilnius. Or, celle-ci va immanquablement dépasser le cadre des relations entre ces deux États. C’est d’abord la première fois que la Chine cible un pays de l’UE, et l’Union va devoir mettre dans la balance les principes de solidarité et les intérêts économiques avec la Chine de l’ensemble de ses membres.
Mais c’est aussi une mauvaise nouvelle pour la Fédération de Russie. Car la Lituanie est l’avant-dernier arrêt de certaines des grandes lignes transcontinentales que la Chine trace à travers l’Eurasie. Si le fret chinois ne va plus jusque là, alors il ne parviendra plus non plus à l’arrêt suivant : l’enclave russe de Kaliningrad. Or, une nouvelle ligne ferroviaire vient justement d’être inaugurée à grand frais pour relier la ville chinoise de Yiwu au port allemand de Rostock en passant par Kaliningrad. Et en privilégiant la traversée de la Lituanie pour désengorger la voie actuelle, qui passe par les territoires polonais.
Si les Chinois veulent faire plier la Lituanie en s’attaquant à son fret ferroviaire, faire de la Russie une victime collatérale n’était sans doute pas l’option la plus sûre, alors que Pékin et Moscou tentent de mettre de côtés leurs différends.
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