Par Matthias Bertand.
La question de l’immigration était une des raisons de la sortie de l’Europe du Royaume-Uni. Cinq ans après, les patrons du pays appellent à faire marche arrière et à faire venir plus de main-d’œuvre étrangère. Alors que le gouvernement veut plutôt déléguer le problème de l’accueil des migrants à l’étranger.
Qui a oublié la campagne britannique de 2016 ? Celle qui a précédé le référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne, et qui a débouché sur une – très courte – victoire du « Leave » avec 51,89 %. De ce côté-ci de la Manche, on avait été fort surpris par la virulence de certains propos des partisans du futur Brexit. En particulier ceux de Nigel Farage, qui qualifiait déjà en 2013 l’immigration de « plus grand problème auquel est confronté ce parti », UKIP, ou UK Independence Party. Et qui n’avait pas hésité à présenter les travailleurs d’Europe de l’Est installés en Grande-Bretagne comme une source potentielle de criminalité, tout en blâmant la politique de libre circulation des personnes de l’Union européenne pour leur présence dans le royaume. Cinq ans plus tard, le Brexit est bien réel, et de nombreux travailleurs étrangers ont préféré s’exiler du Royaume-Uni. Et l’économie britannique fonctionne au ralenti par manque de main-d’œuvre.
Londres manque de bras
C’est en tout cas les conclusions de la CBI, la principale association patronale britannique. Alors que sur le front de la pandémie, le pays espère un retour à la normale vers la mi-juillet, il semblerait que sans travailleurs étrangers, certains secteurs de l’économie manquent de bras: « Nous voyons une envolée de la demande de main d’œuvre, et nous savons que beaucoup d’entreprises ont des difficultés à recruter » selon Karan Bilimoria, le président de la CBI. Un manque particulièrement flagrant dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration, des transports, ou encore dans les travaux agricoles. Des métiers qui étaient généralement occupés par des travailleurs étrangers, parfois saisonniers.
Or beaucoup d’entre eux ne sont pas revenus depuis l’entrée en vigueur du Brexit. Et le coronavirus, très virulent en Grande-Bretagne, a découragé de nouvelles arrivées. Les patrons britanniques lancent donc un appel urgent à un nouvel afflux de travailleurs étrangers. Karan Bilimoria, va jusqu’à fustiger les règles de l’immigration en Grande-Bretagne, qui « représentent aussi une barrière à l’embauche de travailleurs hors du pays pour remplacer ceux qui sont partis. » Il incite ainsi le royaume à élargir le recrutement vers des groupes démographiques « qui auraient pu autrement être ignorés dans le monde du travail au regard de leur genre, ethnicité, ou origines. » La CBI demande aussi que des listes de métiers déficitaires soient établies, afin de faciliter l’arrivée de migrants qualifiés dans les domaines en pénurie.
Autrement dit, l’une des conséquences majeures du Brexit pour la Grande-Bretagne, ça sera la prise de position des associations patronales contre les discriminations à l’embauche et la fermeture des frontières.
Un avis sur la question de l’immigration que le gouvernement de Sa Majesté ne compte pas forcément suivre : la ministre britannique de l’intérieur, Priti Patel, présentera la semaine prochaine un projet de loi qui permettra au gouvernement britannique d’envoyer les demandeurs d’asile à l’étranger pour que leur cas soit examiné offshore. Le Royaume-Uni a entamé des discussions avec le Danemark pour utiliser conjointement un centre pour réfugiés en Afrique, peut-être au Rwanda. L’argument britannique est d’éviter ainsi les tentatives de traversées de la Manche, souvent fatales aux migrants. Cette année, plus de 5 600 d’entre-eux ont tenté la traversée. Mais pour se lancer dans ce système de « push-back », le Royaume-Uni risque de devoir se retirer de la Convention européenne des droits de l’homme…
Pour aller plus loin :