Avant de devenir le livre sacré des fines bouches, le Guide se résumait à 400 pages de pubs. Avec leur épais livret rouge, les frères Michelin voulaient simplement aider leurs clients à toujours faire bonne route. Jusqu’au jour où ils proposèrent aussi les bonnes tables. Voyage dans le temps.
Bien avant sa consécration en tant que Bible gastronomique, le Guide se résumait à 400 pages de publicités. Intention louable, avec cet épais livret rouge, les frères André et Edouard Michelin cherchaient à faciliter la vie de leurs clients, les routes du début du XXe siècle relevant de l’épopée. Les deux hommes ont lancé leur entreprise à Clermont-Ferrand dans le centre de la France, ils nourrissent déjà une grande ambition industrielle pour l’automobile à une époque où le pays dénombre moins de 3000 voitures.
Lorsque les premiers des 35.000 exemplaires accompagnent ‘gracieusement’ l’achat de pneumatiques en 1900, le Guide Michelin ressemble à un annuaire publicitaire. À des fins pratiques toutefois puisque les fondateurs de la célèbre marque au bibendum y recensent les garagistes et les médecins, des cartes routières et des plans de ville, des informations touristiques et même des conseils mécaniques.
‘L’homme ne respecte véritablement que ce qu’il paie’
L’idée astucieuse consistait à stimuler les gens à prendre la voiture pour multiplier les déplacements, dans l’espoir de soutenir l’achat de voitures et d’utiliser davantage… de pneus. Mais l’ouvrage ne restera pas gratuit. Un jour, le cofondateur André Michelin découvre avec stupéfaction une pile de ses guides bien-aimés servir de pied pour équilibrer un établi. Cette anecdote débouchera sur le Guide nouveau en 1920, vendu pour l’équivalent à l’époque d’un euro actuel.
Les publicités payantes disparaissent et une section hôtellerie liste des restaurants ou encore des hôtels parisiens. Cette approche gagnera tellement en influence que les frères Michelin recruteront leurs premiers ‘inspecteurs’ pour évaluer les adresses de manière anonyme. Des établissements gastronomiques reçoivent dès 1926 une étoile.
Ce n’est donc qu’une trentaine d’années plus tard que la publicité y laisse place à l’inspection culinaire, posant ainsi les bases de ce qui allait devenir un classement historique et étoilé de la restauration. Tels des journalistes gastronomiques, les experts indépendants du Guide ont dès lors pour mission de documenter les ‘bonnes tables’, des petits bistrots du coin aux grands palaces citadins.
En moins d’un siècle, le Guide Michelin accède au rang de best-seller planétaire avec plus de 30 millions d’unités vendues et participe activement à la renommée de l’entreprise. Pourtant, jusqu’à preuve du contraire, les revues liées à ‘l’art de la bonne chère’ n’ont jamais parlé de pneu (sauf peut-être dans une critique assassine pour évoquer la cuisson d’une viande).
Autre chose que la soupe commerciale
D’origine purement marketing, ce contenu de marque qu’est le Guide rend toujours service à des millions de consommateurs. Un rayonnement encore accentué par les canaux numériques, tant web que mobiles. Avec Internet, les entreprises peuvent évidemment garder contact en permanence avec le public. Un contact qui ne doit certainement pas se retrouver monopolisé par la rhétorique de vente. Indigestion garantie. Au contraire, cet environnement technologique ouvre le champ à des propositions plus appétissantes et nutritives pour les (futurs) clients.
Le contenu d’entreprise se déploie dans un espace de partage multidimensionnel. Échanges en direct sur les réseaux, webzines périodiques autour des thématiques connexes aux activités, vidéos ‘backstage’ ou compilation de ‘funfacts’ sur la société, les formats narratifs ou informationnels ne manquent pas. Mais le contenu d’entreprise n’appartient justement pas aux seules compétences marketing. Ce n’est ni à ses mécaniciens ni à ses représentants commerciaux que Michelin doit le succès retentissant de son guide touristique.
D’avis d’experts issus de l’industrie marketing, le journalisme d’entreprise et le contenu de marque qu’il produit constituent un impératif entrepreneurial. Attention toutefois, la plupart des entreprises ne possèdent pas la patience de mener cette stratégie médiatique, surtout en ligne. L’illusion de l’instantanéité procurée par le web a tendance à rendre les directions impatientes et à les pousser à réclamer du rendement immédiat, qu’il s’agisse de la croissance de la base clients ou de l’accélération du cycle de vente (entre la prospection et la vente effective).
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