Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a appelé lundi au boycott des produits français. Au cœur du conflit avec la France, des ‘insultes’ prétendument lancées par le président français Emmanuel Macron contre l’islam. Macron avait mis en garde contre l’islamisme après la décapitation du professeur d’histoire Samuel Paty. De son côté, Paris a rappelé son ambassadeur à Ankara ‘en consultation’. Une mesure assez exceptionnelle pour deux pays membres de l’OTAN.
‘L’Islam est aujourd’hui en crise dans le monde entier’, avait déclaré Macron après le meurtre de Samuel Paty, avant d’exprimer son soutien aux caricatures et de lancer certaines mesures, telles que la lutte contre le financement étranger des mosquées.
Il y a quelques jours, le président turc Recep Tayyip Erdoğan avait exprimé ‘des doutes sur la santé mentale’ de son homologue français. Lundi, il est allé plus loin. ‘Les politiciens européens devraient appeler Macron, qui mène une campagne de haine contre les musulmans sur le continent, à arrêter sa politique’, a-t-il déclaré.
Les médias étatiques turcs n’ont pas hésité à utiliser l’assassinat de Samuel Paty pour dénoncer ‘l’islamophobie en Europe’. Avec Macron, Erdoğan semble maintenant avoir trouvé son bouc émissaire. Un phénomène dont les causes vont au-delà de l’affaire Paty.
Erdoğan en difficulté dans son propre pays
Les politiciens recherchent souvent un bouc émissaire lorsqu’ils sont sous pression dans leur propre pays. Cela se vérifie encore une fois ici. En raison de la pandémie, la valeur de la livre turque a déjà chuté de 25% cette année. Le résultat d’une forte baisse du tourisme et d’un manque de réserve de change. Depuis la crise financière de 2008, la livre s’est dévalorisée de 85%. Une catastrophe pour un pays qui emprunte en dollars sur les marchés financiers et qui doit rembourser 128 des 421 milliards de dollars de dette extérieure cette année.
Erdoğan aime se faire passer pour le leader du monde musulman. Mais dans son propre pays, il est de plus en plus mis sous pression par Ekrem Imamoğlu, le maire d’Istanbul. Celui-ci voit sa popularité s’accroître de jour en jour. Si des élections présidentielles devaient avoir lieu aujourd’hui, les derniers sondages rapportent que Imamoğlu les remporterait. Heureusement pour Erdoğan, les élections ne sont pas prévues avant 2023.
Macron veut mettre fin aux ‘imams détachés’
Ce qui fâche surtout Erdoğan, c’est la promesse de Macron de mettre fin au système des ‘imams détachés’. Il s’agit d’imams formés aux enseignements islamiques en Turquie et qui sont déployés dans d’autres pays par la suite. La moitié des 300 imams en poste en France sont originaires de Turquie. Ils sont considérés comme la clé du ‘soft power’ de l’islam en France. Macron désire les remplacer par des imams formés en France. Cela réduirait considérablement l’influence turque sur l’islam français.
Dans le même temps, on semble observer une escalade du conflit. Cela s’était déjà produit en 2005, lorsque le journal danois Jyllands-Posten avait publié des caricatures de Mahomet. A l’époque, une immense vague de protestation s’était soulevée en provenance du monde musulman. Les produits danois avaient été boycottés en masse.
Un boycott de la Turquie ne serait pas fatal à la France. Le pays est quatorzième sur la liste des plus importants pays d’exportation de nos voisins d’outre-Quiévrain.
Le cas qatari
Un appel au boycott des produits français a aussi eu lieu au Qatar. Un pays qui a d’énormes intérêts en France.
Ainsi, le club de football du Paris Saint-Germain est devenu la tête de gondole la plus ‘respectable’ du ‘soft power’ qatari en Europe. Le ‘beau monde’ parisien se fait toujours un plaisir ‘d’être vu’ dans les tribunes du PSG lors des matches à domicile (hors coronavirus bien sûr).
Mais en France, l’influence qatarie ne se limite pas au football. L’émirat est actionnaire minoritaire d’une série de grandes sociétés françaises, telles que Total, Vinci, Veolia Environnement, LVMH ou encore Vivend. Il est également propriétaire de Printemps, entreprise exploitante de grands magasins. Sur les Champs-Elysées, les Qataris possèdent des milliers de mètres carrés de biens immobiliers. Ils sont également le deuxième actionnaire du groupe AccorHotels et détiennent près d’un quart des actions du Casino de Cannes, qui exploite lui-même une série d’hôtels. Parmi les autres hôtels dont les Qataris sont partiellement ou totalement propriétaires, on retrouve le Raffles (ex-Royal Monceau), le Concorde Lafayette, le Peninsula et l’Hôtel du Louvre à Paris, ainsi que les hôtels Martinez et Carlton à Cannes et le Palais de la Méditerranée à Nice. Un traité de 2008 exempte d’imposition les investisseurs qataris qui réalisent des plus-values immobilières en France.
‘Le Qatar n’investit pas en France pour le bien du monde’
‘Le Qatar n’investit pas en France pour le bien du monde, ni pour le bien de la France. Le Qatar investit en France car il veut y organiser le soutien d’Allah’, écrivaient Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget dans leur livre ‘Le vilain petit Qatar: Cet ami qui nous veut du mal’, paru en 2013.
Un an plus tôt, un fonds d’investissement qatari, en partenariat avec l’Etat français, avait investi dans la rénovation de quartiers défavorisés situés en région parisienne. Marine Le Pen, du Rassemblement National, avait accusé le Qatar de planifier d’importants investissements dans des zones défavorisées, où vivent principalement des musulmans. Les deux journalistes mentionnés ci-dessus ont pris le temps d’enquêter afin de savoir quelle proportion des 2.400 mosquées françaises avaient reçu de l’argent du Qatar. Le manque de transparence des flux monétaires n’a pas permis d’obtenir de réponse.