Le train de nuit revoit le jour: un retour au transport de masse est-il utopique?

On croyait qu’il avait disparu, mais aujourd’hui, le train de nuit fait de la résistance. Venue de Suède, la ‘honte de prendre l’avion’ a envahi l’Europe. Et le train de nuit aurait tout à y gagner. Qu’en est-il exactement ? Un retour aux transports d’hier est-il réaliste?

Détrônés par les vols low cost, les trains de nuit ont connu une lente agonie dans le passé, mais la tendance s’inverse : depuis quelques mois, les liaisons ou les projets de liaisons ferroviaires nocturnes ont le vent en poupe.

Les faits

En janvier, OBB avait initié le mouvement avec ses Night Jets, établissant une ligne directe entre Bruxelles et Vienne. L’entreprise ferroviaire autrichienne avait également annoncé vouloir instaurer des liaisons à Amsterdam d’ici 2021, alors que des lignes étaient déjà disponibles en Allemagne, en Suisse et en Italie.

En France, Thello propose aujourd’hui des voyages de nuit entre Paris et Venise. C’est également la grande mode dans les pays scandinaves. En juillet dernier, la Suède a annoncé qu’elle allait investir dans les trains de nuit pour relier sa capitale au reste de l’Europe. Une liaison Bruxelles-Malmö devrait d’ailleurs voir le jour dès l’été 2022. 

En Allemagne, un réseau des Trans Europ Express (TEE) reliant les capitales européennes pourrait également voir le jour d’ici 2025. Il est enfin possible de se rendre en train dans de nombreuses villes finlandaises, à Moscou, Saint-Pétersbourg au départ d’Helsinki, à bord du train de nuit Tolstoï.

Une trame de fond

Cet engouement est-il le fruit du hasard ? Pas certain. Au cours de ces dernier mois, l’idée que Bruxelles puisse devenir une ‘plaque tournante’ des trains de nuit n’est pas venue de nulle part. Le groupe de défenseurs Back on Track Belgium a adressé une lettre aux membres du Parlement européen en leur demandant de  prioriser les trains de nuit dont les trajets dépassent les 1.500 km.

Le 3 juin, pas moins de 24 États européens étaient parvenus à un accord dans le but de rendre les voyages ferroviaires plus attractifs, cela même sur des distances plus courtes, où le train peut sembler moins séduisant.

La situation semble également évoluer en Allemagne. Dans son plan de 100 milliards d’euros pour sauver le climat, le gouvernement envisage de tripler les taxes sur les billets d’avion pour les vols intérieurs, et de supprimer la TVA sur les billets de train.

Des lignes supprimées

Si le train de nuit semble avoir le vent en poupe, de son côté, l’entreprise ferroviaire autrichienne OBB a pourtant récemment annoncé qu’elle comptait (déjà) supprimer sa liaison directe entre Bruxelles et Innsburck (Autriche), relancée début janvier.

Pourtant, le train de nuit revient de loin. On pourrait même dire qu’il renaît de ses cendres. En 2000, la SNCF avait décidé de supprimer 300 points d’arrêt sur les 67 trains de nuit circulant quotidiennement à l’époque. Les vols low cost et les TGV, plus rapides et moins chers, s’étaient accaparés le marché.

Le secteur semble aujourd’hui connaître un nouvel essor, notamment parce qu’il représente une alternative plus écologique à l’avion. En janvier dernier, la députée écolo Sarah Shlitz, et toute récente Secrétaire d’Etat du gouvernement De Croo affirmait d’ailleurs que cette alternative ne comportait ‘que des avantages’

On constate néanmoins que cette option comporte plusieurs inconvénients

Les ‘contre’ : 

  • Ces trains ne seraient pour l’heure pas assez rentables et pas assez fréquentés. Si une ligne de bus atteint l’équilibre à partir de 5 à 10 passagers, l’économie du train est tout autre. Il faut pas moins de 1.000 personnes transportées pour que cela rapporte un minimum, tant les infrastructures sont lourdes. De fait, ‘faire rouler ces trains est trop cher. Des wagons-couchettes, c’est moins de sièges donc une rentabilité moindre’, expliquait un expert du ferroviaire dans une interview réalisée par France Inter peu de temps avant le lancement des Night Jets.
  • Certains des trains de nuit sont vieux et n’ont pas été rénovés depuis longtemps, ce qui offre peu de confort aux passagers
  • Les retards, pour les trains qui existent encore, sont fréquents et conséquents, comme l’affirme l’Autorité de la qualité de service dans les transports.
  • Le train n’est pas assez compétitif : l’avion reste imbattable, c’est la première option des voyageurs.

Les ‘pour’ : 

  • Le bilan environnemental des trains est incontestable, puisqu’ils émettent 14 fois moins de CO2 par passager et par kilomètre qu’un avion. ‘Quand on observe les discussions politiques sur l’environnement en Europe, on se dit que les jalons sont posés’, expliquait Kurt Bauer, responsable des trains de nuit d’ÖBB, dans une interview à la Radio Télévision Suisse .
  • Le secteur de l’aviation en crise et la taxe kérosène sur la table, les billets d’avion à prix réduit pourraient devenir bientôt de l’histoire ancienne
  • Les trains de nuit évitent aux voyageurs les longs trajets en voiture. Ils sont plus sûrs, ils désengorgent les routes.
  • Certains territoires sont encore mal desservis et le train de nuit est le seul moyen de liaison pour leurs habitants 
  • De manière plus pragmatique, ils permettent d’économiser une nuit d’hôtel. ‘Etre dans le train, c’est déjà être en vacances’, s’enthousiasmait la députée écolo Sarah Schlitz en janvier dernier.

Alors que l’on traverse une crise économique sans précédent, l’idée d’un retour au transport de masse est-elle utopique ? Les voyageurs seront-ils prêts à renoncer à l’avion pour privilégier les trains de nuit ? Si l’idée semble ‘bonne’, il faut en tous les cas réinventer le marché, avec, sans doute, de nouveaux types de trains. ‘À mon avis, il faudra attendre encore deux à trois ans pour qu’il y ait une vraie bascule. À ce moment-là, nous serons les mieux préparés.’,expliquait Kurt Bauer. On ne peut en effet proposer aux voyageurs d’aujourd’hui, les vieux trains d’hier…

‘Tout’ reste donc encore à faire.

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