Les groupes mafieux et cartels de drogues du monde entier modifient leur stratégie pour s’adapter à la pandémie de coronavirus. Les organisations criminelles pourraient en profiter pour infiltrer l’économie ‘légale’ en exploitant ses failles causés par le choc économique. Le trafic de masques et de gels hydroalcooliques ne fait pas exception.
Les chefs des mafias ne manquent pas de ressources pour s’adapter aux climats politiques, économiques ou même sanitaires changeants. Ils semblent retomber sur leurs pattes coûte que coûte. Leur précepte: tout changement est une opportunité. La pandémie ne fait pas exception à la règle.
Il est ainsi bien plus facile aujourd’hui de créer des arnaques sur le web à base de masques et de gel désinfectant que de transporter de la drogue à l’autre bout de la planète. En d’autres termes, la demande change, l’offre (illégale) s’adapte.
‘L’adaptabilité, la flexibilité et la rapidité sont leurs points forts. Les services répressifs, au niveau national et international, doivent se conformer à un ensemble de règles et de procédures auxquelles les organisations criminelles ne sont manifestement pas soumises. Elles avancent à une vitesse différente’, explique à El País Marco Musumeci. Il est responsable de la criminalité transnationale organisée, de l’infiltration de l’économie légale par les criminels et des réponses technologiques innovantes de l’Unicri, l’institut des Nations unies qui étudie les questions de criminalité et de justice.
Trafic de drogue
Les trafiquants de drogue ne font pas exception, ils sont même un bon exemple de cette adaptation. Ce business qui déplace entre 400 et 600 milliards d’euros par an a été ébranlé par la pandémie. Le coronavirus a interrompu les flux des produits chimiques nécessaires en provenance de Chine vers les cartels mexicains. Et avec la perspective d’une fermeture des frontières prolongées en mars, le volume de cocaïne transporté d’Amérique latine vers la Belgique a rapidement augmenté.
Pour continuer leurs petites affaires, les cartels usent donc d’ingéniosité: ils dissimulent la drogue dans des cargaisons censées… lutter contre la propagation du virus. Des caisses de masques et de liquide hydroalcoolique notamment. C’est ainsi que la police péruvienne a découvert un kilo de cocaïne caché entre des masques destinés à Hong Kong en mars, tandis que la police des frontières britannique en a trouvé 14 kilos dans du matériel médical sur le point de traverser la Manche. Interpol a également averti que les cartels utilisent les services de livraison de nourriture pour le trafic de drogue.
Trafic de migrants
Un autre trafic impacté par le coronavirus, c’est celui des migrants. L’introduction illégale de migrants dans un pays en échange d’argent se complique face à la fermeture des frontières et mesures de lockdown.
‘Dans le sud de l’Algérie, le gouvernement a placé davantage de soldats et de policiers des frontières, en vue d’arrêter la circulation des personnes’, explique Lucia Bird Ruiz-Benitez de Lugo, analyste de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée. Les forces de sécurité étaient déjà nombreuses à la frontière, mais l’accent était mis sur le terrorisme et sur le trafic d’armes et de drogue, avec une plus grande indulgence pour le trafic de migrants. Cette clémence a maintenant disparu. Les trafiquants eux-mêmes estiment également que le risque est trop élevé et ne veulent pas traverser la frontière par crainte de la contagion.’
Les trafiquants de migrants ont donc dû réorienter leurs activités. Ils ont par exemple troqué le transport de migrants par la contrebande de carburant, plus facile et moins risquée. ‘Il y a également eu un mouvement vers l’exploitation des enfants via l’Internet’, explique l’analyste.
Protections contre le coronavirus
Les mafias ont même développé un tout nouveau business, directement lié à la pandémie: l’introduction sur le marché de contrefaçons de masques, respirateurs, gels désinfectants, gants en latex, et même tests de détection du coronavirus.
‘Les criminels qui font le commerce de produits pharmaceutiques et de soins de santé contrefaits ont été prompts à tirer parti de la pandémie’, indique Europol dans un rapport publié le 30 avril. ‘Et lorsqu’un vaccin sera mis au point, il y aura des tentatives de le contrefaire’, a averti le directeur exécutif des services de police d’Interpol, Stephen Kavanagh. Croyez-le ou non, il existe déjà sur le dark web des annonces de prétendus vaccins et même d’anticorps d’un patient guéri du Covid-19. Tout se négocie, tout se contrefait.
La récession, porte ouverte aux organisations criminelles
Ce qui inquiète surtout les experts, c’est l’impact du choc économique sur les entreprises que risquent d’exploiter les groupes mafieux. Blanchiment d’argent, traite d’êtres humains dans les pays pauvres et ‘faveurs’ accordées pendant la pandémie par les organisations criminelles (prêts, distribution de nourriture ou de fournitures médicales) seront facturées ultérieurement.
‘La demande de prêts est si abondante qu’ils peuvent gagner même s’ils baissent leurs taux. Et les personnes désespérées qui sont aidées par la mafia aujourd’hui devront être reconnaissantes quand tout reprendra’, explique Roberto Saviano, auteur du roman sur la mafia Gomorra. Bref, les criminels profitent des lacunes laissées par l’économie légale pour étendre leur influence.
‘Imaginez que vous êtes un petit homme d’affaires en difficulté’, indique Musumeci. ‘Vous n’avez pas accès au crédit dans les banques. La mafia elle-même, qui dispose d’informateurs, vous contacte: « Nous pouvons vous aider, ne vous inquiétez pas, vous paierez plus tard, nous aimons être proches des gens ».’ Et le tour est joué.
Pour remédier (en partie) à ce problème, il faudrait donc que les institutions légales prennent encore davantage de mesures pour aider la population. Mais la mafia aura sans doute toujours un coup d’avance, en proposant par exemple des conditions avantageuses qui se convertiront plus tard en factures très salées. En attendant, elles en profitent pour redorer leur blason dans le monde entier. ‘Elles sont très actives sur les réseaux sociaux pour se donner une bonne image, comme s’il s’agissait d’activités philanthropiques’, explique Francesco Marelli, responsable du même secteur de l’Unicri.