Selon le rapport annuel ‘Nations in Transit 2020’, de plus en plus de dirigeants d’Europe centrale et de l’Est s’attaquent ouvertement aux institutions démocratiques et s’efforcent de restreindre les libertés individuelles dans leurs pays. Et pendant ce temps, la Chine et la Russie tentent d’étendre leur influence dans la région. Mais que fait l’Europe occidentale pour soutenir ses voisins face à cette crise de la démocratie?
L’Europe centrale et les pays des Balkans sont actuellement en train de vivre un effondrement démocratique, ni plus ni moins, affirme le rapport ‘Nations in Transit 2020’ . Toujours marqués par les nombreuses guerres des années 1990, ces pays sont aujourd’hui un terreau fertile pour les leaders très (trop?) ambitieux. D’autant plus en pleine crise sanitaire.
C’est ainsi que Viktor Orban, Premier ministre hongrois, a ‘centralisé le pouvoir, organisé le harcèlement de la société civile, mis la main sur la majorité des médias et, depuis peu, sur l’éducation et la culture’, indique l’ONG américaine Freedom House. De quoi rétrograder la Hongrie de ‘démocratie’ à régime ‘transitoire/hybride’.
Si le cas Orban est sans doute le plus médiatisé, d’autres nations de cette région ont subi le même sort: la Serbie et le Monténégro ne sont également plus considérés par Freedom House comme des démocraties, alors que la Pologne a abandonné le groupe des démocraties consolidées pour devenir une démocratie semi-consolidée. Le gouvernement polonais a, entre autres, ‘violé la Constitution, adopté des lois qui entravent le fonctionnement impartial des tribunaux, créé un mécanisme de révision de décisions judiciaires définitives et mis en place un régime disciplinaire partisan pour le pouvoir judiciaire’, indique le rapport.
Crise du Covid-19 et influence chinoise
Le système judiciaire et l’État de droit sont également devenus des cibles dans de nombreux pays. L’indépendance judiciaire est ainsi l’indicateur qui a connu le plus grand nombre de baisses, selon l’étude ‘Nations in Transit 2020’, avec pas moins de six pays en déclin: la République tchèque, la Géorgie, la Lettonie, le Monténégro, la Pologne et la Slovaquie.
Ces tendances ont été accélérées par l’exploitation de la crise du Covid-19 par les gouvernements de la région. ‘Le cadre électoral a été manipulé de manière à donner un avantage indu aux candidats sortants, les parlements ont été mis sur la touche ou vidés de leur substance par les boycotts de l’opposition’. Les médias indépendants et la société civile font également l’objet de campagnes de diffamation. ‘La crise du coronavirus a créé un point d’inflexion, après quoi les choses pourraient devenir bien pires, ou la démocratie pourrait être revitalisée’, explique Michael Abramowitz, président de Freedom House.
Dans cette région fragilisée, le gouvernement chinois vient s’ajouter à l’équation en ‘profitant activement des faiblesses institutionnelles’, indique l’ONG. La Russie déplace également ses pions en Europe de l’Est. En mars, les deux puissances mondiales ont envoyé des médecins et du matériel médical en Bosnie et en Serbie pour aider à stopper la propagation du coronavirus. Pendant ce temps, la réponse de l’Union européenne restait très lente.
Et c’est bien là où le bât blesse: ‘les dirigeants politiques des démocraties […] ne parviennent pas à défendre les valeurs fondamentales de la région, ce qui permet et aggrave la détérioration de la démocratie’, indique l’ONG. ‘Il est essentiel que les pays démocratiques résistent aux intimidations, mais cela n’est possible que si les politiciens de premier plan promeuvent les principes démocratiques par leurs paroles et leurs actions’, ajoute Zselyke Csaky, directrice de recherche pour l’Europe et l’Eurasie.
‘Il est temps pour les dirigeants européens qui sont attachés à la liberté de s’attaquer à la crise dans leur propre voisinage’, ajoute Abramowitz.
Les pays des Balkans bientôt membres de l’UE?
Pour repousser l’influence chinoise et russe dans la région, les 27 dirigeants de l’Union européenne se sont réunis mercredi à Zagreb. Ils y ont affirmé ‘leur soutien sans équivoque’ aux six pays des Balkans afin qu’ils finissent par devenir membres du bloc. Il s’agit de la Serbie, le Kosovo, le Monténégro, l’Albanie, la Bosnie et la Macédoine du Nord. Le président du Conseil européen Charles Michel l’affirme: l’UE doit être plus active dans la région.
Les dirigeants ont également promis un ‘plan économique et d’investissement solide’ pour les Balkans afin de les aider à se remettre de la crise du coronavirus. En plus des 3,3 milliards d’euros que l’Europe avait proposé à dix pays voisins pour les aider à limiter l’incidence économique de la pandémie. Parmi eux se trouvent l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, le Kosovo, le Monténégro et la Macédoine du Nord.
L’approche de l’Europe est habile. Si les pays des Balklans deviennent membres de l’UE, il sera bien plus compliqué pour des puissances étrangères de mettre la main dessus. En novembre dernier, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait ainsi averti que si l’UE n’en faisait pas plus dans la région, ‘d’autres le feront’. Une référence à peine voilée à la Russie et à la Chine. Leur influence y est déjà bien palpable: le mois dernier, le membre serbe de la présidence tripartite de Bosnie, Milorad Dodik, a fait l’éloge de la Russie, critiquant Bruxelles pour avoir initialement limité les exportations d’aide médicale aux pays non membres de l’UE.
Futur incertain
La rancœur prend également sa source dans une réponse très tardive. Les pays des Balkans ont enfin obtenu l’attention des gouvernements européens après avoir été ignorés pendant des années. En mars, la Macédoine du Nord et l’Albanie ont ainsi obtenu l’autorisation d’entamer les négociations d’adhésion à l’UE après un retard de deux ans. Il aura fallu attendre un effondrement démocratique et une pandémie pour que des actions se concrétisent.
Reste à voir si ces bonnes intentions sont solides ou si elles ne visent qu’à donner un peu d’espoir à la région à court-terme. Les Balkans devront en outre se plier à certaines conditions, notamment pour repousser l’influence russe et chinoise. ‘L’UE réitère ses appels à tous les partenaires pour qu’ils progressent vers un alignement complet sur les positions de politique étrangère de l’UE, notamment sur les questions où des intérêts communs majeurs sont en jeu, et pour qu’ils agissent en conséquence’, indique la déclaration du sommet.
Sans compter que cinq pays de l’UE ne reconnaissent toujours pas l’indépendance du Kosovo, dont l’Espagne. Et il faudra faire attention au langage utilisé, les stigmates des conflits successifs dans la région étant encore bien présents. Bref, le casse-tête est loin d’être résolu…
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