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Dans un discours donné lors d’un dîner privé destiné à collecter des fonds, Mitt Romney, qui ne se savait pas filmé, avait déclaré que 47% de citoyens américains étaient des « assistés », « des victimes qui pensent que c’est la responsabilité du gouvernement de s’occuper d’eux ». Pour Simon Kuper du Financial Times, sa rhétorique était non seulement cruelle, mais elle était aussi inexacte. Car une grande partie du destin de chacun se décide avant l’âge de 3 ans, explique-t-il en s’appuyant sur les résultats d’une expérience menée en Jamaïque dans les années 1980.
Des travailleurs sociaux avaient rendu visite à des enfants mal-nourris et souffrant de maladies infectieuses. Ils leur avaient donné des livres, des jouets fabriqués avec des matériaux de récupération, et du lait de meilleure qualité. Puis ils formèrent les mamans à jouer avec leurs bébés, et à leur parler.
Les enfants en question ont été suivis jusqu’à ce qu’ils parviennent à l’âge adulte, et les chercheurs Sally Grantham-McGregor, professeur émérite de santé infantile à l’University College de Londres et Susan Walker de l’université de West Indies, ont constaté les effets remarquables de cette politique. A l’adolescence, les enfants ainsi stimulés avaient de meilleurs QI, une santé mentale et des taux de délinquance bien meilleurs que ceux qui ne l’avaient pas été ; et une fois adultes, ils gagnaient de meilleurs salaires que ces derniers.
Cette recherche ne fait qu’illustrer ce que tous les experts en petite enfance savent déjà : les trois premières années de la vie sont décisives pour façonner le cerveau et avec lui, le destin des enfants. En matière de politique sociale, l’argent dépensé sur la petite enfance est bien plus bénéficiaire pour la société que celui qui peut être investi sur les autres âges de la vie.
Les mauvaises expériences aussi façonnent le cerveau de l’enfant, et, de même que le bébé est sans défense dans le ventre de sa mère à l’égard de la nicotine ou de l’ingestion de pesticides, son cerveau peut être marqué par la violence. « Le cortex, la partie du cerveau responsable de la survie, se sur-développe, et les lobes frontaux, qui gèrent des choses telles que les plus hautes fonctions cognitives et l’empathie, se sous-développent. Leur biologie les préparent à naviguer dans un monde violent », explique Michael Feigelson, programme director à la fondation Bernard van Leer, qui s’intéresse à la petite enfance. A trois ans, les petits enfants de parents américains qui ont fait des études supérieures connaissent 1.200 mots en moyenne ; ceux des familles les plus défavorisées qui bénéficient des aides sociales n’en maitrisent que 400. Leur destin est déjà quasiment scellé, car il y a peu de chances que cet écart ne soit comblé par la suite.
De toute évidence, les sociétés devraient rendre la petite enfance prioritaire, plaide Kupper, et ce d’autant plus que cela ne comporte aucun inconvénient. L’économiste James Heckman, détenteur d’un Prix Nobel, a prouvé que le retour sur investissement dans la vie d’une personne était maximal à ce moment-là, et il souligne que cet investissement permettait d’améliorer la santé future, la productivité, l’égalité sociale, tout en réduisant la délinquance. Mais dans beaucoup de pays, on estime que la responsabilité de la petite enfance incombe aux parents. Or, les parents sont loin d’être tous de bons parents… Et les meilleurs résultats seraient obtenus auprès des familles les moins éduquées. Mais malheureusement, les sociétés prennent rarement en compte cette réalité, et aujourd’hui encore, les nourrissons sont laissés à la merci de leur famille, déplore Kuper.