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« La modernité exige la capacité à accepter les offenses », affirme Fouad Ajami, directeur du programme d’études sur le Moyen-Orient à la Johns Hopkins University. Les émeutes anti-américaines provoquées par la diffusion de la vidéo « The Innocence of Muslims » au Moyen Orient montrent que cette capacité manque au monde arabe, le cœur de l’islam, poursuit-il.
Pourquoi assiste-t-on si souvent à ces explosions de violence dans cette région? Parce qu’elles sont issues d’un sentiment profond d’humiliation répond-il, qui trouve sa source dans le gouffre qui sépare le relatif déclin du monde arabe d’aujourd’hui et sa grandeur passée.
Dans les écoles du monde arabe, on enseigne aux enfants que les Arabes ont été favorisés par la providence divine, qu’ils ont fait de vastes conquêtes, traversé le Détroit de Gibraltar, étendu l’Islam jusqu’en Indonésie, et développé une civilisation brillante qui surpassait celle de l’Europe, explique Ajami.
La chute de l’Islam a été aussi spectaculaire que son ascension, poursuit-il. L’invasion Mongole du XIIIème siècle a dévasté le Califat de Bagdad, et depuis que les Ottomans se sont imposés dans les pays arabes du Sud au XVIème siècle, les Arabes sont comme sortis de l’histoire. L’arrivée de l’Occident leur a fait subir une domination militaire, administrative et intellectuelle. Les Occidentaux ont brisé la fierté militaire des Arabes et ils ont été scandalisés par la façon dont les femmes étaient traitées et par la tradition de séparation des sexes de la société arabe.
Même si les jeunes Arabes d’aujourd’hui sont fiers de leur culture, et qu’ils estiment que les défauts de leurs pays leur ont été imposés par des étrangers, ils ont honte en même temps de la stagnation économique et du déclin culturel autour d’eux. Ils n’ignorent pas que les pays arabes sont en retard en matière de liberté économique, de statut des femmes, et de croissance économique. Et dans les conversations de rue, sur les blogs et dans les romans, ils n’hésitent pas à s’en ouvrir entre eux, dans leur langue. Mais malheur aux Occidentaux qui osent se risquer sur ce terrain, parce que d’emblée, leurs jugements sont réputés être injustes et cruels.
Les Versets Sataniques de Salman Rushdie, et la fatwa que ce roman a suscitée ont initié une nouvelle ère : celle de l’affrontement entre une version politisée de l’Islam et la volonté de l’Ouest de défendre la liberté d’expression. Les émeutes déclenchées par la vidéo « The Innocence of Muslims » ne sont qu’un nouvel épisode de ce conflit, affirme-t-il.
L’ambivalence entre l’attrait de la modernité à l’occidentale et l’attachement à la foi ont aliéné les relations entre les Musulmans les plus jeunes et leurs aînés, et elle ne s’affaiblira pas, prophétise Ajami. La liberté d’expression, la protection de ce qui est irrévérencieux sont chéries et protégées en Occident. Les Musulmans utilisent les nouvelles libertés qu’ils ont acquises avec le Printemps Arabe pour manifester leur opposition à toutes formes d’art – romans, vidéos, caricatures – qui mettent en cause les textes sacrés de leur foi.
« Dans le monde Arabe, la bataille entre la liberté et l’ordre est bien plus féroce et durable qu’en Occident, et elle ira bien au-delà de quelques drapeaux brûlés, et autres invasions d’ambassades », conclut-il.