La décision prise par le Conseil national de sécurité d’autoriser des visites minimales dans les maisons de repos aura tourné court. L’objectif était louable, la réalisation beaucoup moins. Retour sur une cacophonie bien belge.
Mercredi soir, un Conseil national de sécurité très attendu débouche sur pas grand-chose de neuf. Le confinement est prolongé jusqu’au 3 mai, comme attendu. Seules éclaircies au tableau, l’ouverture des pépinières et des magasins de bricolage, ainsi que l’autorisation de visites dans les maisons de repos à des conditions très strictes. Le but: lutter contre la solitude de nos aînés. Après tout, la santé mentale a des incidences sur la santé tout court.
Mais quelques minutes à peine après la conférence de presse, arrivent déjà les premières réactions. Le secteur, au nord, tombe des nues. Il n’a visiblement pas été concerté: ‘J’ai appris cette décision par les médias’, réagi Margot Cloet, cheffe de Zorgnet-Icuro, une organisation qui regroupe notamment des centres de soins résidentiels, dans De Afspraak. Cette décision pourrait mettre en danger les retraités.
C’est le départ d’un rétropédalage en chaîne. Quelques polémiques plus tard, le ministre flamand du Bien être, Wouter Beke (CD&V), refuse ce que le fédéral a autorisé. Pour lui, la décision arrive trop tôt, et est donc reportée. En matière de santé, ce sont en effet les Régions qui ont le dernier mot. Le Fédéral ne fait que des recommandations.
Mais ce manque de concertation, il n’est pas propre à la Flandre. Un peu plus tard, le ministre bruxellois Alain Maron (Ecolo) réagit à son tour: ‘La concertation se fera au plus vite’, corrige-t-il. Pour la mise en oeuvre, ‘cela interviendra plus tard’.
Pour la Fédération des maisons de repos (Femarbel) et son président, Marc Verbruggen s’interroge sur BX1: ‘‘Comment serons-nous en mesure de garantir que le virus ne se propage pas depuis la maison de repos vers les familles des visiteurs et inversement?’ Son secrétaire général va plus loin et se dit sidéré à La Libre: ‘J’ai déjà quelques années de carrière derrière moi et j’ai déjà entendu des directions et du personnel de maisons de repos s’énerver, mais jamais comme mercredi soir.’
En Wallonie, même topo, ‘Depuis cette annonce, nous sommes assaillis de questions de la part de gens de terrain. Nous ferons remonter ces interrogations à la ministre wallonne de la Santé’, Christie Morreale (PS), explique François Desquesnes, chef de groupe cdH au Parlement de Wallonie.
La ministre répond: ‘Pour le moment, la priorité reste au testing dans les maisons de repos. Ensuite, nous nous concerterons avec le secteur pour déterminer les modalités concrètes permettant d’y organiser les visites.’
Plusieurs décideurs politiques communaux et responsables de centres affirment dans la foulée qu’il n’appliqueront pas la décision du CNS. À Mons par exemple, le bourgmestre Nicolas Martin a annoncé son intention de prendre un arrêté pour interdire toute visite dans les maisons de repos. À Liège aussi, le bourgmestre Willy Demeyer prépare un arrêté de police pour empêcher les visites. La Louvière, Péruwelz, Ath, Seraing, Frameries Tournai ou encore Antoing vont suivre.
Le mot fiasco n’est pas exagéré.
Une responsabilité bien belge
Arrive alors la question de la responsabilité. Très vite, la Première ministre Sophie Wilmès (MR) est pointée du doigt. Elle a d’ailleurs dû essuyer de nombreuses questions en séance plénière de la Chambre ce jeudi. Sophie Wilmès assure toutefois que ‘la décision prise l’a été d’un commun accord avec toutes les Régions. Ils ont tous marqué leur accord sur cette proposition.’
Le Conseil national de sécurité se compose en effet des ministres-présidents des Communautés et Régions. Sophie Wimès est à chaque fois entourée par Elio Di Rupo (PS), côté wallon, Jan Jambon (N-VA), côté flamand et Rudi Vervoort (PS), au niveau de Bruxelles. Impossible qu’une décision soit prise sans leur aval.
Or, Régions et fédéral se renvoient la balle. Les ministres régionaux de la Santé disent ne pas avoir été vraiment mis au courant, et désavouent quelque part le ministre-président respectif. Maggie De Block (Open VLD), réplique: ‘Ce n’est pas le fédéral qui a conseillé ça’, explique-t-elle au JT de la RTBF. ‘C’est la cellule des experts qui a proposé de prendre des mesures pour éviter des problèmes émotionnels chez des résidents des maisons de repos.’
Erika Vlieghe, l’infectiologue qui préside le GEES, répond: ‘Nous, on donne un avis et c’est le Conseil National de Sécurité qui décide. On suggérait une concertation avec le terrain. Disons que c’est le check avec la réalité: si le terrain n’est pas prêt, faut en débattre.’ Grosse ambiance.
Ce qui est certain, c’est que le secteur n’a pas été concerté, Jan Jambon l’a reconnu. En résumé, l’une des deux maigres décisions du Conseil national de sécurité de mercredi n’avait pas de bases solides. Tout le monde est prié de revoir sa copie.
Le comité de concertation doit d’ailleurs se réunir ce vendredi, avec à table les ministres du gouvernement fédéral et des gouvernements des Communautés et Régions. On attend leurs conclusions. Rappelons que ce sont aux Régions d’organiser de telles visites et de mettre en place la concertation. Fallait sans doute le faire avant de signer.
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