Des ventes d’armes qui battent tous les records pour la Turquie : comment devenir un acteur incontournable du secteur en seulement 20 ans

Le secteur turc de l’armement a fait des bénéfices record en 2022, et le pays espère les voir augmenter d’un bon tiers en 2023. Une industrie au service des rêves de grandeur d’un président qui veut voir son croissant flotter du Caucase à l’Égée.

Pourquoi est-ce important ?

L'année 2022 a été complexe pour la Turquie. Alors que le pays subissait le début d'une crise inflationniste particulièrement sévère, la guerre en Ukraine a de facto contribué à faire du pays un acteur incontournable de toute tentative de négociation, tout en offrant un joli coup de pouce à son industrie de l'armement. Mais si les drones Bayraktar ont fait des émules, le souhait d'Ankara de s'imposer en tant qu'acteur majeur en matière d'armement dans la région n'est pas récent.

4,4 milliards de bénéfice

Dans l’actualité : des recettes record pour les exportations d’armes en Turquie, qui ont représenté un marché de 4,4 milliards de dollars en 2022. Et le gouvernement espère monter jusqu’à 6 milliards en 2023.

  • Les exportations représentent donc presque la moitié des 10 milliards de dollars que pèse le chiffre d’affaires des industries de défense du pays, selon le gouvernement turc.
  • Bien sûr, la guerre en Ukraine représente une vitrine de choix pour les marchands d’armes, et les Turcs ont bénéficié d’un bon coup de pub avec l’usage immodéré des drones d’attaque Bayraktar par les Ukrainiens durant la première phase de l’invasion.
  • Mais ces recettes augmentent régulièrement depuis quelques années, souligne CNBC : entre 2020 et 2021, elles avaient déjà bénéficié d’une croissance de 42%.

L’enjeu : comment devenir un acteur incontournable de la géopolitique régionale. La croissance de l’industrie de l’armement en Turquie remonte au début des années 2000, et elle s’accélère depuis l’arrivée au poste de président de Recep Tayyip Erdoğan en 2007. Celui-ci veut faire de la Turquie un pays qui compte au sein de l’OTAN, mais qui défend aussi son propre agenda, au croisement entre l’Europe, le Proche et le Moyen-Orient, ainsi que le Caucase. Et cet objectif passe aussi par la capacité à vendre des armes.

Nostalgie ottomane et panturquisme

  • L’objectif d’Erdogan est d’abord d’apparaître comme un leader capable de faire de la Turquie un pays influent et prospère – il en va de sa réélection.
  • Mais il cherche aussi à lui créer une sphère d’influence, motivée par deux idéologies en apparence contradictoires : une certaine nostalgie ottomane d’abord, et le panturquisme ensuite.
    • La première vise à restaurer une certaine influence le long du bassin méditerranéen, en influençant les différentes factions qui se disputent la Libye, par exemple. L’aspect religieux y est primordial.
    • La seconde passe par renforcer la coopération avec d’autres pays de langue et/ou de culture turque dans le Caucase et en Asie centrale. C’est le cas par exemple avec l’Azerbaïdjan, qui est en plus en guerre larvée avec l’Arménie.
  • Dans les deux cas, pouvoir compter sur un arsenal national est un gros plus. Et Ankara vise gros, avec son propre avion de chasse en développement, qui devrait faire son entrée dans l’armée turque à partir de 2028.
  • Autre avantage à construire ses propres armes : on ne dépend pas de celles d’alliés avec qui les relations sont tendues. La Turquie a ainsi été exclue du programme de test du fameux F-35 américain pour avoir acheté à la Russie des systèmes de défense antiaérienne. Dans l’alliance, Erdogan sait qu’on a besoin de lui face à un Kremlin hostile, et il joue souvent avec les bornes des autres pays, ou d’ailleurs des candidats à l’OTAN.

« Les ventes d’armes et de technologies, en particulier de drones, ont aidé la Turquie à améliorer ses relations, en particulier avec des États comme le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Turkménistan et l’Azerbaïdjan, et même à établir de nouveaux liens avec divers autres pays comme la Pologne, l’Arabie saoudite et la Tunisie. »

Atlantic Council, think tank américain spécialisé dans les relations internationales
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