Au cours des dix dernières années, l’État belge a accordé à Bpost des centaines de millions d’euros d’aides d’État illégales. C’est ce que révèle le livre « Bpost Hold-Up« , basé sur une note confidentielle de l’ancien CEO de Bpost, Dirk Tirez. Celle-ci est destinée à la Commission européenne : cette dernière doit veiller à ce que les États membres n’accordent pas d’aides publiques qui faussent le marché, car des règles strictes s’appliquent à cet égard. La Commission a pourtant donné son « feu vert » à l’entreprise publique pendant des années. Mais la note montre que la Commission a été trompée. Les marchés publics, tels que ceux exécutés par Bpost, y compris la livraison à domicile des journaux papier ou la gestion des comptes publics, ont été autorisés par la Commission. Mais les marges bénéficiaires ne doivent alors représenter au maximum que 7,4 % du coût. Or, pour Bpost, il s’agissait de bien plus : les marges ont parfois dépassé les 70 %, comme indiqué noir sur blanc dans la note. Et cette tromperie a été délibérée et systématique, notamment en gonflant les coûts. Elle s’ajoute à un débat politique très houleux, les libéraux au sein du gouvernement insistant pour annuler la concession presse et le PS s’y opposant fermement. Un audit externe sur le coût du contrat public avec Bpost promet déjà d’être explosif.
Dans l’actualité : De nouvelles preuves que l’ancienne direction de Bpost a trompé tout le monde.
Les détails : L’ancien CEO Dirk Tirez est l’un des grands architectes de toute cette tromperie. Écarté de l’entreprise postale, ce dernier nous a révélé une note qui expose la manière dont Bpost et le gouvernement belge ont trompé la Commission européenne. Ainsi, Bpost a pu obtenir illégalement des milliards d’euros du contribuable.
- « Sur la base des éléments factuels ci-dessus, la Commission européenne doit ouvrir une enquête formelle contre le Royaume de Belgique pour examiner les différentes subventions accordées à Bpost au cours des dix dernières années, et pour examiner la prolongation du contrat presse pour 2023 et au-delà », conclut le document de 25 pages, révélé par le livre « Bpost Hold-up« . Le document fournit aux nombreux opposants de la concession presse, des concurrents de Bpost aux vendeurs de journaux en passant par les médias d’information en ligne, l’arme idéale pour intenter une action en justice.
- Dans le mémorandum en question, Tirez n’hésite pas à détailler les constructions ingénieuses qui visaient à obtenir autant de subventions que possible. Dans de nombreux cas, il a lui-même contribué à les mettre en place. Il s’agit notamment des « accords d’approfondissement », des contrats spécifiques entre Bpost et l’État belge concernant des services spécifiques, tels que la gestion des comptes de l’État (les fameux comptes 679) ou le recouvrement des amendes des contrevenants routiers étrangers. Ces accords secrets sont restés cachés à la Commission européenne pendant des années.
- Ces pratiques sont monnaie courante depuis trente ans, révèle Tirez. Pour les comptes 679, Bpost a secrètement obtenu environ 450 millions d’euros de subventions entre 1992 et 2010, contre 108 millions d’euros de coûts. Cela représente donc un bénéfice de 342 millions d’euros, comme il l’explique.
- Selon les règles européennes, les subventions ne peuvent cependant pas dépasser 7,4% de plus que le coût et l’État belge n’aurait donc dû payer au maximum que 116 millions d’euros pour ce service. Conclusion : l’État a accordé, rien que pour ce dossier spécifique, 334 millions d’euros (450 millions moins 116 millions) d’aides d’État illégales. Et c’est sans compter les intérêts, ajoute Tirez avec précision.
- Les généreuses subventions donnent à Bpost la puissance financière pour intensifier ses activités dans d’autres domaines, comme le marché des colis. La distorsion de la concurrence dans un segment du marché entraîne donc des subventions illégales croisées, et donc une distorsion du marché dans un autre segment, comme le confirme Tirez dans sa note.
- L’ancien grand patron de Bpost fait également voler en éclats l’idée largement répandue que les subventions pour la distribution des journaux et des magazines sont nécessaires à la liberté de la presse, et donc à la démocratie. Une affirmation que Tirez, en tant que CEO par intérim, a lui-même défendue à la Chambre. L’expert Dirk Tirez décrit comment les choses se sont réellement passées sur le plan juridique : nulle part dans la Constitution belge, il n’est stipulé que la diffusion des informations doit se faire sur version papier, ou via des abonnements au détriment des vendeurs de journaux (les librairies). Il s’agit donc d’une façade : invoquer la liberté de la presse est un faux prétexte.
« Bpost Hold-up » est le nouveau livre de Wouter Verschelden et Emmanuel Vanbrussel. Il raconte comment des milliards d’euros d’argent public ont afflué vers Bpost et les éditeurs de journaux. Les coulisses d’un triangle incestueux entre l’entreprise publique, le monde politique et les grands éditeurs de journaux. Le tout est écrit dans le même style que le best-seller « Les Fossoyeurs de la Belgique« , sous forme de reconstitution, où vous êtes plongés au cœur du récit.
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Les chiffres implacables : La tromperie de la Commission conduit à un montant inimaginable. Sur un peu plus de dix ans, 4 milliards d’euros d’argent public ont afflué vers Bpost. La grande majorité de cette somme suscite de sérieux doutes.
- 4 milliards d’euros, c’est la somme totale d’argent du contribuable que Bpost a collecté entre 2013 et 2023 :
- Il s’agit de 3 milliards d’euros de subventions (principalement pour le contrat presse, et ensuite le contrat de gestion de diverses missions publiques).
- En outre, il y a plus d’1 milliard d’euros de rémunérations pour les contrats spécifiques : les comptes 679, les amendes de circulation et la délivrance de plaques d’immatriculation.
- Le livre soutient que les compensations publiques ont été obtenues en grande partie de manière illégale grâce aux liens trop étroits entre l’État et l’entreprise publique. Ce lien incestueux est le plus évident dans les cas du contrat presse et des missions publiques spécifiques.
- Le contrat presse dit « concession presse » a coûté au contribuable pas moins de 2,2 milliards d’euros au cours des dix dernières années. Voici précisément le montant total des subventions que Bpost a obtenues pour la distribution de journaux et de magazines :
- Période 2013-2015 : 810 millions d’euros (270 millions par an)
- Période 2016-2020 : 850 millions d’euros (170 millions par an)
- Période 2021-2023 : 525 millions d’euros (175 millions par an)
- La note de Tirez stipule que Bpost peut assurer la distribution de la presse pour environ 75 millions d’euros de coûts d’exploitation par an, alors que la subvention annuelle s’élève encore aujourd’hui à 175 millions d’euros. Bpost peut donc réaliser un bénéfice rapide de 100 millions d’euros par an grâce à ces subventions. Mais ce n’est que la moitié de l’histoire. Bpost facture également aux éditeurs 105 millions d’euros par an pour le même service. Cette impressionnante machine à cash rapporte donc au total 205 millions d’euros de bénéfice brut par an à l’entreprise publique.
- Cette généreuse source de revenus explique en tout cas pourquoi l’entreprise a fait un lobbying acharné pour conserver le contrat. Et pourquoi elle a conclu des accords illégaux, de « collusion », avec les éditeurs de journaux, pour s’assurer que les concurrents ne feraient pas d’offre. Une enquête judiciaire est en cours à ce sujet, ainsi qu’une enquête de l’ABC, l’Autorité belge de la concurrence.
- En plus du contrat presse, entre 1,1 et 1,4 milliard d’euros d’argent du contribuable sont aussi allés vers trois missions publiques très discutées (amendes de circulation, comptes 679, plaques d’immatriculation) au cours des dix dernières années. Ces missions spécifiques rapportent à Bpost un chiffre d’affaires annuel de 104 à 130 millions d’euros par an : ces contrats ont été tenus hors de vue de la Commission européenne, dit la note de Tirez.
- Bpost a timidement annoncé le 24 avril 2023 dans un message aux investisseurs qu’elle avait enfreint les règles européennes de la concurrence avec ces trois missions publiques. Un gros coup en bourse a suivi. L’ancien CEO de Bpost, Dirk Tirez, déjà licencié à l’époque, est à l’origine de cet avertissement sur les bénéfices, comme le révèle la reconstitution dans le livre. L’entreprise savait peut-être déjà en février, par l’intermédiaire de ses auditeurs de la Cour des comptes, que quelque chose n’allait pas avec ces trois missions publiques.
- Ces missions ont donc donné lieu à des accords secrets entre Bpost et l’État, les « accords d’approfondissement », qui ont échappé aux yeux de l’Europe. L’ancienne secrétaire d’État au Budget, Eva De Bleeker (Open Vld), s’est d’ailleurs interrogée sur ces pratiques à l’époque.
L’essentiel : tout tourne autour d’une incroyable dégradation des normes et d’une culture d’entreprise complètement déraillée, chez Bpost.
- Le fait qu’ils étaient prêts à aller très loin pour maintenir le statu quo est illustré par les actions du top management de Bpost. Ils ont ainsi réussi à faire disparaître une action en justice européenne grâce à un accord trouble avec un vendeur de journaux situé à Deurne.
- En effet, Bpost a conclu en 2019 un accord avec Tony Vervloet, le dirigeant de la fédération des vendeurs de journaux VFP, afin de faire disparaître un procès européen qui menaçait le lucratif contrat de distribution des journaux. Ils ont mis en place un dispositif qui permettait à ce dernier de s’enrichir personnellement sur le plan financier.
- Le top management de Bpost a même envisagé à un moment d’acheter la librairie de Vervloet à un prix ridiculement élevé. Mais finalement, la compensation financière (de l’ordre de 2 millions d’euros) s’est faite via une association avec la VFP. En échange, la fédération des vendeurs de presse a abandonné la procédure devant la Cour européenne à Luxembourg, qui était dirigée contre les subventions accordées par Bpost pour la distribution des journaux.
- Ce n’est ici qu’un seul exemple mis au jour par le livre. Mais il est révélateur de l’atmosphère et de la méthodologie de la direction de Bpost. Elle allait toujours plus loin et travaillaient de manière toujours plus drastique pour protéger coûte que coûte les flux de subventions. Jusqu’à ce que toute l’affaire lui explose au visage.
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