La crise aiguë que nous traversons aujourd’hui (et qui continuera certainement l’hiver prochain) ne durera pas dix ans. Mais il semble déjà que nous devrons facilement faire face aux implications de cette crise pour la transition énergétique, le handicap salarial, les finances publiques et la situation géopolitique pendant toute une décennie.
La semaine dernière, le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) a prévenu que nous devrions faire face à cinq à dix hivers difficiles. Il est déjà clair que l’hiver prochain sera en effet fort compliqué, et celui d’après le sera probablement aussi. Mais dix années plus difficiles, cela reste un scénario très pessimiste. Il est impossible de prévoir aujourd’hui comment se dérouleront ces dix hivers. Mais il est d’ores et déjà évident que la crise actuelle laissera des traces dans de nombreux domaines pour les années à venir.
1. La transition énergétique
Vladimir Poutine joue aujourd’hui avec la valve du gaz, et continuera probablement à le faire pendant un certain temps. Néanmoins, l’Europe devrait être en mesure de se débarrasser de sa dépendance au gaz russe d’ici quelques années. Cela implique une utilisation plus efficace de l’énergie, un engagement beaucoup plus important en faveur du renouvelable, l’utilisation d’autres sources de gaz (notamment une plus grande capacité de GNL), de plus longs délais avant l’abandon du nucléaire, et une meilleure coopération européenne dans le domaine de la politique énergétique. Des progrès ont déjà été réalisés dans plusieurs de ces domaines au cours des derniers mois.
Cela ne prendra certainement pas dix ans pour se débarrasser du gaz russe. Cela ne signifie toutefois pas que nous retrouverons rapidement les faibles prix du gaz d’avant la crise, mais que nous ne resterons pas bloqués aux niveaux extrêmes actuels pendant des années. En outre, la transition énergétique, et par extension l’ensemble de la transition durable, prendra de toute façon plus de dix ans, ce qui nécessitera d’énormes investissements, beaucoup plus d’innovation et de nouveaux ajustements politiques (par exemple dans le domaine de la réglementation et de la fiscalité).
2. Le handicap salarial
Comme pour les chocs inflationnistes précédents, la principale réaction des pouvoirs publics a été jusqu’à présent de dire : « Nous allons l’absorber par l’indexation des salaires « . Grâce à ce mécanisme, l’impact d’une hausse de l’inflation pour la plupart des citoyens est en fait assez limité, car, avec un peu de retard, les salaires et les avantages sont adaptés à l’augmentation du coût de la vie. La Belgique est donc à peu près le seul pays d’Europe où le pouvoir d’achat ne diminuera pas ou peu pendant cette crise. Mais cela n’a pas éliminé l’impact de l’énergie plus chère, bien sûr.
La facture sera simplement répercutée sur les entreprises par le biais de l’indexation. Les coûts salariaux dans notre pays augmenteront beaucoup plus rapidement que dans d’autres pays, de sorte que nous accumulerons à nouveau un désavantage concurrentiel. Cela va peser sur notre potentiel économique pour les années à venir. Avant cette crise, le handicap salarial a atteint un pic en 2013 et il a fallu sept ans pour l’éliminer. Selon les prévisions actuelles, le handicap salarial va encore s’accroître (et les syndicats font déjà campagne pour des augmentations salariales encore plus élevées). En ce sens, il n’est pas exclu qu’il faille 10 ans pour l’éliminer.
3. Finances publiques
Nos finances publiques étaient déjà chancelantes avant la crise pandémique, et la situation ne s’est pas améliorée depuis. Les chances que le gouvernement prenne des mesures sérieuses pour remettre nos finances publiques sur les rails semblent donc minces à court terme. Il est plus probable que la combinaison de mesures de soutien supplémentaires, de la récession et de l’approche des élections fragilisera davantage l’état de nos finances publiques au cours des deux prochaines années. Il reste à voir si nous parviendrons à les remettre sur les rails dans dix ans (et dans le contexte du vieillissement de la population).
4. Le climat géopolitique
Pour la Belgique, et certainement pour la Flandre, le commerce international reste un moteur économique crucial. Cependant, l’idée d’une mondialisation accrue était déjà sous pression avant le virus, et celui-ci et l’Ukraine ont tout remis en question. Les entreprises doivent, elles aussi, tenir compte du fait que les années à venir ne garantiront pas un libre-échange international sans souci et qu’il faudra accorder beaucoup plus d’attention aux risques géopolitiques. Aujourd’hui, il est difficile de prédire comment cela va évoluer (quelle sera la nouvelle relation avec la Russie, quels sont les plans de la Chine avec Taïwan, allons-nous évoluer vers des blocs régionaux compétitifs plus fermés ?), mais il est presque certain que le commerce international deviendra plus difficile dans les années à venir que dans les décennies passées.
Nous traversons une grave crise économique et la situation va empirer avant de s’améliorer. Curieusement, la gravité de la situation ne semble toujours pas avoir été perçue par tout le monde. De plus, l’expérience a montré que les « solutions » que certains préconisent encore aujourd’hui, et qui se résument à ce que les entreprises et le gouvernement s’occupent de tout, sont surtout de fausses pistes qui risquent de prolonger la crise. Cela dit, il semble très peu probable que nous soyons confrontés à une récession d’un an (et certainement pas de cinq à dix ans). Cependant, les implications de cette crise perdureront facilement durant une autre décennie. Plus tôt nous en serons conscients, mieux nous pourrons en gérer les conséquences.
L’auteur Bart Van Craeynest est économiste en chef au Voka et auteur du livre Terug naar de feiten.
MB