Une histoire digne d’un polar hollywoodien. Anom, l’app ultra populaire dans les rangs du crime organisé, n’était en fait qu’un immense guet-apens mis en place par les feds. Et des centaines de malfaiteurs sont tombés dans le piège.
Rétroactes. Octobre 2020. Un cartel de la drogue a orchestré une grosse livraison de drogue de l’Équateur vers la Belgique. Pour être importée par conteneur, la marchandise a été soigneusement dissimulée dans des boîtes de thon. Mais à son arrivée au port d’Anvers, ledit conteneur subit une fouille ciblée et les forces de l’ordre y découvrent plus de 600 kilos de cocaïne. Signalé aux autorités équatoriennes, le thonier incriminé sera d’ailleurs saisi avec une cargaison supplémentaire d’1,5 tonne de cocaïne.
La réussite de cette opération d’une précision chirurgicale, on la doit au Bureau fédéral d’enquête des États-Unis, le FBI. En fait, les fédéraux ont eu accès aux communications qu’entretenaient les narcotrafiquants.
‘Le FBI a examiné le contenu des messages de l’organisation criminelle transnationale. Ces messages ont révélé que les criminels discutaient de la logistique de l’importation et partageaient des informations sur les conteneurs. Ces informations ont été transmises aux autorités américaines de Bruxelles, qui ont collaboré avec les forces de l’ordre belges pour fouiller le conteneur suspect’, ressort-il d’un document d’une cour fédérale de district californien que Business AM a consulté.
Mais la police judiciaire fédérale américaine n’a pas seulement intercepté les échanges entre trafiquants. Le FBI a pris depuis plusieurs années le contrôle d’un réseau de télécommunication cryptée dont les criminels étaient friands et l’a transformé en gigantesque piège à loups.
Question de confiance
Peu après le démantèlement du réseau Phantom Secure en 2018, les agents du FBI ont recruté, en échange d’une réduction de peine, un informateur qui avait développé ‘la nouvelle génération’ des solutions de communication cryptée et entendait bien en découdre avec la concurrence pour imposer son produit.
‘À l’époque, le vide laissé par Phantom Secure donnait aux utilisateurs criminels une nouvelle occasion de passer à un dispositif sécurisé’, souligne le document judiciaire.
La source du FBI a alors proposé d’employer un nouveau dispositif baptisé Anom et même d’assurer la distribution auprès de certains membres de son réseau existant en lien direct avec des organisation criminelles transnationales.
‘Puisque les appareils de communication cryptés existent pour échapper à l’application de la loi, la distribution de ces appareils repose sur la confiance’, relate un agent lors d’un témoignage retranscrit.
En mode start-up
Le FBI a donc fait le nécessaire pour doper l’utilisation d’Anom de façon organique à travers ces réseaux criminels. Parallèlement, le Bureau a entamé une nouvelle enquête internationale, l’opération Trojan Shield, axée sur les informations auxquelles lui donnerait accès l’application.
Avant que le dispositif ne puisse être utilisé, le FBI a pris soin d’implémenter une clé maîtresse au système de chiffrement existant, l’associant à chaque message et permettant ainsi aux forces de l’ordre de décrypter et stocker les messages au fur et à mesure de leur transmission. Sans que les utilisateurs d’Anom, où qu’ils soient dans le monde, n’en aient consience.
En concertation étroite avec le FBI, l’informateur a contrôlé la distribution des dispositifs Anom auprès d’une sorte de trio de ‘représentants commerciaux criminels’ qui avaient leurs entrées dans de grandes organisations.
Entouré d’autres services de police étrangers, notamment en Australie, le FBI a infiltré des réseaux criminels ‘sophistiqués’ actifs dans le trafic de drogue, d’armes à feu et d’autres activités illégales.
La croissance du nombre de dispositifs a d’abord été lente. Elle s’est développée grâce au bouche à oreille, puis s’est accélérée à l’été 2019.
Un processus compartimenté
L’opération Trojan Shield reste d’une rare ampleur: plus de 20 millions de messages ont été traités, en provenance d’un total de 11.800 dispositifs, dont 9.000 actifs actuellement, situés dans plus de 90 pays. Mais l’Europe se distingue sur la carte du monde criminel: les cinq principaux pays où les dispositifs Anom sont encore utilisés sont l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne, l’Australie et la Serbie.
L’enquête a révélé comment le crime organisé compartimentait ses activités, par exemple en utilisant plusieurs sortes de dispositifs cryptés renforcés pour une même transaction de drogue. ‘J’ai vu des conversations où Anom était utilisée pour la logistique des exportations, mais où Ciphr ou Sky étaient utilisés pour coordonner la dissimulation des produits illicites. Cette compartimentation montre l’interconnectivité des dispositifs de communication cryptés’, relate l’agent du FBI.
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