Un vaccin français en priorité aux Américains: scandaleux… ou juste normal?

En France, les réactions suite aux déclarations de Paul Hudson, PDG du géant pharmaceutique français Sanofi, ont été particulièrement vives. Mercredi, il a déclaré que si sa société trouvait un vaccin contre le Covid-19, les États-Unis seraient les premiers à en profiter. Si l’entreprise a depuis fait marche arrière, le débat n’est pas clos pour autant.

‘Les États-Unis ont droit à la plus grosse précommande car ils ont investi malgré le risque d’échec’, a déclaré Paul Hudson. Les autorités américaines elles-mêmes n’ont jamais fait mystère qu’elles s’attendaient à ce que leurs investissements dans la recherche de vaccins signifient que les Américains seraient les premiers à avoir accès à un tel vaccin. M. Hudson a ensuite tenté de relativiser la situation en affirmant que l’avance des États-Unis ne durerait que ‘quelques jours ou semaines’.

Pareille histoire se déroule au Royaume-Uni. Là-bas, le géant pharmaceutique britanno-suédois AstraZeneca s’est associé à l’université d’Oxford pour développer un vaccin. En cas de succès, les premières doses seront distribuées outre-Manche.

Paris ne rit pas

Mais à Paris, cela n’a fait rire personne. La ministre française de l’Économie, Agnès Pannier-Runacher, a déclaré mercredi soir que de telles déclarations étaient ‘inacceptables’. Jeudi matin, le Premier ministre Edouard Philippe est également intervenu dans le débat. Il a déclaré que l’égalité d’accès au vaccin était ‘non négociable’. L’Elysée a ensuite porté le coup de grâce au PDG Paul Hudson jeudi soir. ‘Le vaccin doit être retiré des lois actuelles du marché’, a déclaré la présidence française.

Sur BFMTV, Marine Le Pen (Rassemblement National) a évoqué le ‘patriotisme économique’ des Américains. Danièle Obono (France Insoumisme) a, elle, exigé rien de moins que la nationalisation immédiate de Sanofi.

Les déclarations de Paul Hudson sont-elles scandaleuses, ou suivent-elles simplement les lois du marché pharmaceutique?

Un certain nombre d’éléments doivent être pris en compte:

  • Sanofi est une société internationale dont le capital est détenu à plus de 60% par des investisseurs étrangers. Son principal actionnaire est le géant français des cosmétiques L’Oréal, qui détient 9,4% des actions.
  • Le marché américain (12 milliards d’euros par an) est une fois et demie plus important pour Sanofi que le marché européen (8 milliards d’euros).
  • Le développement d’un vaccin prend normalement dix ans. Tenter de le faire en 12 à 18 mois nécessite des ressources financières extraordinaires et augmente le risque d’échec.
  • Le monde de la pharma est aux mains d’entreprises privées. Elles donnent par conséquent – comme le leur dictent les lois économiques – certains avantages aux pays qui financent leurs recherches.

US vs UE

  • Avec la BARDA (Biomedical Advanced Research and Development Authority), les États-Unis disposent d’un organisme dont la seule mission est de financer des projets visant à lutter contre les crises sanitaires.
  • Sanofi et son concurrent britannique GSK ont conclu un accord avec la BARDA concernant le Covid-19. Cela permet aux deux géants pharmaceutiques d’accélérer leur développement commun d’un vaccin, grâce à l’apport de ‘centaines de millions de dollars’ via ce financement. Pour rappel, Sanofi et la BARDA avaient déjà collaboré dans le cadre du développement d’un vaccin contre le virus zika.

GSK et Sanofi s’unissent pour développer un vaccin au Covid-19

  • Bien que Sanofi et d’autres entreprises pharmaceutiques soient demandeuses, il n’existe à l’heure actuelle aucun équivalent européen à la BARDA.
  • De son côté, la Commission européenne entend mobiliser un fonds d’urgence de 2,4 milliards d’euros pour renforcer les capacités des entreprises pharmaceutiques en Europe. Ce fonds bénéficierait également à Sanofi. Mais pour l’instant, il n’y a rien de concret, juste quelques promesses de la part de pays-membres de l’UE.

Les subventions françaises

  • Le marché français représente à peine 6% du chiffre d’affaires de Sanofi. Le groupe y consacre toutefois 45% de son budget de recherche et développement (R&D).
  • Bonne nouvelle pour les Français qui, en contrepartie, accordent chaque année à Sanofi 150 millions d’euros d’avantages fiscaux. En prime, Sanofi bénéficie également de 24 millions d’euros de crédits employeurs.

Qui devez-vous appeler si vous voulez avoir l’UE au téléphone?

Dans ce débat, les États-Unis et la France ont donc tous deux raison. Et c’est une nouvelle fois l’UE qui fait pâle figure. Après avoir affiché une absence d’unanimité durant l’épisode des masques buccaux, rebelote autour d’un vaccin qui n’existe même pas encore.

‘Si Sanofi veut négocier avec les États-Unis, elle appelle Donald Trump. Si elle veut parler à l’UE, alors il faut appeler 30 personnes’, résume Véronique Trillet – Lenoir, une oncologue française et femme politique du parti La République En Marche (LREM), dans le journal économique français Les Echos.

Ce n’est qu’en renforçant les institutions européennes que l’on pourra éviter à l’avenir que pareilles choses se reproduisent.

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