Un an de Vivaldi : le gouvernement De Croo peut-il s’affranchir de ses belles-mères/présidents de parti, ou périra-t-il dans les querelles ?

Le jour de l’anniversaire de la Vivaldi, le PS ne laisse aucun répit. Il met immédiatement sur la table un nouveau paquet de revendications : le tarif social de l’énergie doit devenir structurel, en plus d’un chèque énergie de 100 euros par famille. La décision française de geler complètement les prix du gaz ne passe pas inaperçue en Belgique francophone. Ce matin, le MR en remet aussi une couche : « Le PS confond la classe moyenne avec un citron », a déclaré Georges-Louis Bouchez (MR). Cette dernière surenchère est typique de la coalition fédérale, qui souffle sa première bougie : ça ne s’arrête jamais.

Dans l’actualité : PS et MR se disputent à nouveau ce matin.

Les détails : Il n’y a pas grand-chose à célébrer pour Vivaldi pour le moment.

  • « Les présidents de parti ont donné de l’éclat à leur parti ces dernières semaines. Je voudrais maintenant appeler à dix jours de sérieux pour parvenir à un accord d’ici l’état de l’Union du 12 octobre. » Egbert Lachaert, le président de l’Open Vld, souhaitait une sorte de « trêve », dans l’émission Terzake de la VRT. Il n’a visiblement pas été entendu.
  • Cet esprit, de solidarité et de cohésion, est précisément celui que le Premier ministre Alexander De Croo a proclamé au début de son gouvernement. Avec une référence à la légende du basket Michael Jordan: « Avec du talent, on gagne des matches. Le travail d’équipe fait gagner des championnats. » Le but était de faire de la politique « autrement » : « Le respect de l’autre et l’esprit d’équipe seront désormais à l’ordre du jour pour Vivaldi : le nouveau gouvernement s’opposera à « la démolition constante », à « la rudesse et à la dureté des autres acteurs de la politique », à savoir la N-VA et le Vlaams Belang.
  • Un an plus tard, on peut dire sans risque de se tromper que le gouvernement lui-même est plutôt bien ficelé : on ne voit guère de vice-premiers ministres dire du mal de leurs collègues au sein du kern. Il y a beaucoup de « respect mutuel » et de « compréhension des points de vue de chacun », c’est ce que l’on dit toujours du noyau dur du gouvernement. Le Premier ministre De Croo a constamment un œil sur « l’équipe ».
  • En face,il y a les ministres et les secrétaires d’État qui ne sont guère impliqués dans l’équipe. Pas une seule fois depuis le début, un Conseil des ministres complet ne s’est réuni. Cela en frustre certains.
  • Et last but not least, il y a les présidents des partis. Ils tournent autour du gouvernement fédéral comme des belles-mères. Et cela ne facilite pas le travail de De Croo et du kern.

L’essentiel : Le phénomène des présidents de parti en tant que fauteurs de troubles n’est pas nouveau.

  • À l’époque du Premier ministre Leo Tindemans (CVP), c’est-à-dire à la fin des années 70, on parlait déjà de la « junte des présidents », un petit club qui planait au-dessus du gouvernement et prenait les véritables décisions : ce phénomène n’est pas nouveau à la rue de la Loi.
  • Même si, par souci d’exhaustivité historique, il convient de mentionner que ce sont les bonnes relations entre les présidents (Wilfried Martens (CVP), Karel Van Miert (SP), Hugo Schiltz (VU), André Cools (PS), Charles-Ferdinand Nothomb (CDH) et Antoinette Spaak (FDF)) qui ont rendu le travail gouvernemental plus difficile, et non les mauvaises relations que nous connaissons aujourd’hui.
  • Plus récemment, il y a eu Karel De Gucht (Open Vld), qui, au début des années 2000, a rendu la tâche particulièrement complexe à son propre Premier ministre, Guy Verhofstadt (Open Vld), avec le droit de vote des migrants, ce qui a annoncé l’érosion définitive des libéraux flamands.
  • En 2010, De Croo, alors encore jeune et quelque peu téméraire chef de parti de l’Open Vld, a brusquement débranché l’équipe d’Yves Leterme (CD&V). Sur le thème communautaire de BHV. Cette situation a suscité le déclin des chrétiens-démocrates, qui ont vu leur golden boy électoral, le Premier ministre, mourir politiquement.
  • Et il est certain que dans le gouvernement Michel I, la « coalition suédoise », les présidents flamands et leurs querelles mutuelles ont rendu la tâche particulièrement difficile au Premier ministre Charles Michel et à son équipe, qui paraissaient donc presque constamment vulnérables.
  • Cette fois, durant les 662 jours de crise gouvernementale, une relation toxique entre le président du MR et son collègue socialiste Paul Magnette (PS) a fait surface. Et cette confrontation a perduré après la formation du gouvernement.
  • Tous deux, Magnette et certainement Bouchez, surgissent systématiquement pour « faire valoir leur point de vue », en se répondant l’un à l’autre. Un rôle un peu plus modeste, mais pas sans importance, est réservé à Jean-Marc Nollet (Ecolo), qui n’hésite pas non plus à se lancer dans le débat. Chacun y va de sa méthode: sur les réseaux sociaux ou dans la presse. Mais cela signifie que, du côté francophone, la Vivaldi doit composer presque en permanence avec des présidents qui se tirent dans les pattes et mettent en avant leur propre couleur.
  • Cela alterne sérieusement l’image que De Croo espérait projeter. « Un bar où l’on se bat n’est pas un endroit pour boire », est un vieux dicton rue de la Loi. Cela s’appliquait à l’équipe suédoise, et désormais tout autant à la Vivaldi.

Le score d’aujourd’hui : une fois de plus des querelles verbales et des surenchères.

  • Il n’est pas question de « trêve » du côté francophone ce matin. Le président du PS Paul Magnette a fait le tour des matinales à la radio, tandis que son vice-premier ministre lance les mêmes propositions dans la version papier. Le PS veut prendre à bras le corps la crise énergétique.
  • Quand il pleut à Paris, il pleut à Bruxelles : en tout cas pour les politiciens francophones. En France, le gouvernement a annoncé une mesure drastique : les prix du gaz et de l’électricité seront tout simplement gelés pour le consommateur jusqu’en avril et en février. En outre, le chèque énergie dont bénéficient 6 millions de Français pourrait être revalorisé.
  • Le PS met maintenant sur la table un tarif social permanent, pour les quelque 900 000 personnes qui en bénéficient aujourd’hui, grâce aux mesures Corona. Et ce n’est pas tout. Le PS souhaite le même « chèque énergie », de 100 euros, une sorte de monnaie hélicoptère, pour alléger la facture. On parle d’un coût de 524 millions d’euros pour le budget. « Le montant est négociable », dit le PS.
  • Paul Magnette a été particulièrement véhément ce matin sur La Première. « Je n’en peux plus des politiques à la petite semaine ». Pour le président des socialistes, « face aux défis inouïs » (crise corona, inondations, climat), c’est le moment ou jamais de dépenser, d’investir, même si les budgets ne sont pas à l’équilibre.
  • Dans La Libre de ce matin, Georges-Louis Bouchez (MR) repart lui aussi de plus belle : « Le PS est fébrile à l’égard du PTB, ce qui en fait un partenaire difficile avec qui gouverner. »
  • « Ils ont déjà proposé 5,5 milliards d’euros de dépenses supplémentaires au niveau fédéral depuis leur retour politique. » (Sans compter la demande supplémentaire d’énergie d’un demi-milliard).
  • « Le PS confond la classe moyenne avec un citron. Tant qu’il reste du jus, les socialistes veulent presser. Un jour, il n’y aura plus rien. Le PS doit cesser de courir après le PTB ».
  • Les partenaires de la coalition flamande, quant à eux, se tiennent en retrait. La réduction de la TVA sur l’énergie (coût de revient: 1,3 milliard) semble hors de question, faute de soutiens. Le ministre compétent du CD&V, Vincent Van Peteghem, et la ministre des Verts, Tinne Van der Straeten, ont ensuite proposé de modifier les prélèvements fédéraux en accises : mais il s’agit d’une réforme, et non d’une réduction, qui ne pourra prendre effet qu’à partir de l’année prochaine.
  • Il est frappant de constater qu’Annelies Verlinden (CD&V) s’est également immiscée dans le débat sur l’énergie aux côtés de M. Van Peteghem ce matin, en déclarant sur Radio 1 « qu’une solution française de gel des prix ne nous conviendrait pas ».

Le pari sur l’avenir : Le budget et l’état de l’Union ne deviendront pas les pierres angulaires de la coalition fédérale. Les dangers sont plus profonds.

  • En matière d’énergie, on assiste donc à une nouvelle surenchère, qui se terminera plus que probablement par le consensus d’une nouvelle extension du tarif social pour 900 000 personnes.
  • Mais quiconque croit que la discussion budgétaire actuelle sera difficile pour le gouvernement fédéral se trompe. Alors que le déficit des comptes fédéraux est de plus de 20 milliards, on discute d’une fourchette qui était initialement comprise entre 1 et 3 milliards d’efforts, mais qui est aujourd’hui fixée à 2 milliards.
  • Sur ce montant, 1 milliard était déjà fixé (sans être vraiment concrétisé), et environ la moitié de l’autre milliard est déjà là grâce à la nouvelle taxe sur les valeurs mobilières. Cela ne fait pas de l’exercice budgétaire une promenade de santé (des milliards restent des milliards), mais les efforts ou les réformes vraiment importants ne sont tout simplement pas pour maintenant.
  • Il serait donc étonnant que la Vivaldi ne parvienne pas à sortir de cette discussion : elle n’a pas vraiment besoin des « dix jours de sérieux » que Lachaert a voulu imposer.
  • Dans le même temps, le gouvernement prépare la déclaration gouvernementale autour de cinq chantiers : la cohésion sociale, le numérique, la croissance, le durable et la relance. Cela devrait aboutir à ce que l’on appelle un « plan de redémarrage et de transition ». Un plan qui devrait être initié lors du discours sur l’état de l’Union du Premier ministre. De Croo doit montrer que son gouvernement fonctionne.
  • La question est de savoir jusqu’où il va aller. Le menu est copieux: la Vivaldi doit se réunir sur trois grands axes de réforme dans les années à venir, et la réalité est qu’ils sont loin d’y être arrivés.
    • Le marché du travail doit évoluer vers un taux d’emploi de 80 %, et il n’y a pas la moindre chance que cela se produise.
    • Les pensions doivent être rendues viables. Malgré de nombreux plans, aucun d’entre eux ne garantit un financement équitable.
    • La réforme fiscale doit mettre en place un système plus clair et plus juste, mais il reste introuvable.
  • Le véritable test pour l’équipe fédérale, avec les belles-mères à ses côtés, est encore à venir.

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