Après avoir jeté à l’eau l’accord sur les céréales ukrainiennes malgré les propositions de compromis, le président russe souffle le chaud et le froid, voulant rassurer les uns et terrifier les autres. Un discours bipolaire qui porte de moins en mois.
Poutine promet des céréales pour l’Afrique, après avoir promis de couler tout navire transportant du blé ukrainien
Pourquoi est-ce important ?
Les accords sur les céréales ukrainiennes assuraient le libre-passage aux navires transportant le produit des récoltes via la mer Noire. Ils ont permis l'acheminent de 33 millions de tonnes de céréales des ports ukrainiens vers les pays dépendants de cette source de nourriture, essentiellement en Afrique. Mais depuis la semaine dernière, le Kremlin ne veut plus jouer le jeu.Forum Russie – Afrique sous tension
Dans l’actualité : le Forum économique et humanitaire Russie – Afrique se tiendra à Saint-Pétersbourg les 27 et 28 juillet prochains. L’occasion pour Poutine de consolider les liens qu’il a tissés avec des pays africains qui ont vu en la Russie un contrepoids à l’Occident. Mais ça, c’était avant que le président russe ne décide de sortir des accords sur les exportations de céréales ukrainiennes.
- La semaine dernière, l’Union africaine a dit « regretter » la rupture de l’accord – tout en jouant sur les mots pour garder l’apparence de neutralité. « J’exhorte les parties prenantes à résoudre les problèmes pour permettre la reprise du passage continu et sécurisé des céréales et engrais d’Ukraine et de Russie vers les régions qui en ont besoin, notamment l’Afrique », avait déclaré le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, qui est un ancien Premier ministre du Tchad.
- Poutine, lui, se veut rassurant, et il est dit favorable à un élargissement du réseau des ambassades russes et des missions commerciales en Afrique. Malgré que le FMI a averti que ses actes risquaient d’entrainer une hausse mondiale des cours des denrées alimentaires, et que des pays comme l’Afrique du Sud frôlent la crise politique sur la question de la non-condamnation de la Russie.
« Je souhaite rassurer sur le fait que notre pays est capable de remplacer les céréales ukrainiennes sur une base commerciale et sans frais, d’autant que nous attendons une autre récolte record cette année. »
Vladimir Poutine, sur le site officiel du Kremlin
- La semaine dernière, le Financial Times annonçait que la Russie voulait mettre en place un système excluant l’Ukraine du marché des céréales au profit des produits russes : le Qatar paierait Moscou pour expédier des céréales russes à la Turquie, qui les distribuerait ensuite aux « pays dans le besoin ». Ni le Qatar ni la Turquie n’ont accepté cette idée, qui n’a jamais été formulée officiellement, selon le quotidien économique.
Vers un moment Lusitania ?
Les déclarations de Vladimir Poutine n’engagent de plus en plus que lui ; c’est vrai pour les promesses, et ça l’est d’autant plus pour les menaces. Avec une systématique gesticulation nucléaire à chaque fois que les alliés de l’Ukraine lui fournissent une nouvelle arme, les craintes de surenchère de la part de Moscou ne sont plus aussi vives. La dernière menace venue de Russie était tellement ridicule qu’elle est presque passée inaperçue.
- Moscou a menacé de considérer tout navire en direction des ports ukrainiens pour faire le plein de céréales comme des cibles militaires, et ce, dès le 20 juillet. Cela équivaudrait à déclarer la guerre au pays dont cet infortuné navire battrait pavillon. On peut donc se demander si la flotte russe passerait vraiment à l’acte dans ce qui serait une surenchère absolument gratuite.
- La menace fait toutefois son effet sur le trafic céréalier, mais elle a aussi pour conséquence de motiver la réflexion sur une riposte occidentale. L’idée d’escorter les navires céréaliers par les flottes de l’OTAN est dans l’air, même si John Kirby, porte-parole du département de la Défense des États-Unis, balayait encore ce plan le 18 juillet dernier.
- Il faut dire qu’une mission d’escorte dans des eaux minées n’a rien d’un plan qui s’improvise, d’autant que le passage de navires de guerre reste lié à la volonté de la Turquie, qui contrôle les détroits. Mais Ankara avait aussi évoqué cette possibilité d’escorte armée, et la Turquie fait partie de l’OTAN.
- Quoi qu’il en soit, si les Russes coulent quelque chose, ils risquent de créer un « moment Lusitania » : un paquebot coulé par un sous-marin allemand en 1915 entrainant la mort de 1.200 personnes dont 128 Américains – donc neutres. L’affaire a retourné l’opinion publique des USA contre l’Allemagne et préparé l’entrée en guerre de 1917. À jouer la carte de l’intransigeance, la Russie ne sortira jamais gagnante.