Sortie d’un artiste de la survie : Van Quickenborne n’avait pas d’autre choix, il peut quitter la Vivaldi sans trop d’encombres

Sortie d’un artiste de la survie : Van Quickenborne n’avait pas d’autre choix, il peut quitter la Vivaldi sans trop d’encombres
Vincent Van Quickenborne (Open Vld). (Hatim Kaghat/Belga/AFP via Getty Images)

Alexander De Croo (Open Vld) perd son compagnon le plus fidèle au sein de la Vivaldi : Vincent Van Quickenborne, ministre de la Justice et vice-Premier, a démissionné. Le Courtraisien n’avait pas d’autre choix : ce matin, de nouveaux éléments ont émergé dans l’enquête sur l’acte de terrorisme de lundi dernier, deux jours seulement après que le ministre a « tout mis sur la table à la Chambre ». Il s’est avéré qu’un magistrat du parquet de Bruxelles a commis une erreur cruciale, en ne donnant pas suite à une demande d’extradition émise par la Tunisie. Van Quickenborne en a directement assumé la responsabilité politique et a démissionné. Cela témoigne une fois de plus de son instinct infaillible de la rue de la Loi, associé à un parfait sens du timing. En démissionnant pour la bonne cause (pas pour le « Pipigate » ou la crise de la présidence du parti), il peut s’échapper de la Vivaldi et revenir dans sa ville de Courtrai à temps pour inverser des tendances électorales en déclin.

Dans l’actu : Une démission dramatique un vendredi soir à la tour des Finances, le cabinet de Van Quickenborne.

Les détails : Les chaînes de télévision nationales ont reçu un appel trois quarts d’heure à l’avance : en première partie de soirée sur VTM et VRT, les larmes aux yeux, Van Quickenborne quitte la Wetstraat pour la Dorpstraat.

  • « Je ne cherche pas d’excuses, je ne cherche pas d’échappatoire, je pense que c’est mon devoir de le faire. » D’une manière parfaite, humble, avec la mise en scène adéquate, suffisamment d’émotion et un timing assez concis pour un JT en direct. Après plus de 20 ans de politique de haut niveau, il n’y a vraiment plus rien à apprendre à Van Quickenborne.
  • Il est parti car il n’y avait plus aucune autre option, comme il l’a expliqué lui-même :
    • « Lors des deux conférences de presse de mardi, j’ai expliqué en détail et en toute transparence tout ce que nous avions à ce moment-là. »
    • « Le tuyau de 2016, d’un service de police étranger, concernant la possible radicalisation qui faisait l’objet d’une enquête, ainsi que les différentes dénonciations connues de la police, y compris les menaces de mort proférées contre une personne dans un centre d’asile, et le signalement qui a suivi. »
    • « Nous sommes toutefois tombés sur des informations supplémentaires importantes. Ce matin, à 9 heures, j’ai constaté qu’une demande d’extradition de la Tunisie avait été faite le 15 août 2022. »
    • « Cette demande a été transmise au parquet de Bruxelles le 1er septembre 2022 par le SPF Justice. Le magistrat compétent n’a pas donné suite à cette demande d’extradition, qui est restée sans réponse. »
    • « Il s’agit d’une erreur individuelle, d’une erreur grave, d’une erreur inacceptable, avec des conséquences dramatiques. »
  • Immédiatement, Van Quickenborne a subtilement donné de l’éclat à sa démission : « En tant que ministre de la Justice, je ne peux pas intervenir dans une décision d’un magistrat. Et même si cela relève du travail d’un magistrat individuel et indépendant, je veux quand même prendre ma responsabilité politique pour cette erreur inacceptable. Les nouvelles informations me touchent profondément, car j’ai fait de mon mieux pour améliorer la Justice. J’ai transmis ces informations au Premier ministre et je lui ai fait part de ma démission en tant que ministre de la Justice. »

Et maintenant ? D’autres ministres suivront-ils ? L’opposition le demande, mais on ne voit pas ce scénario se dessiner tout de suite.

  • Ce samedi, De Croo convoquera une réunion du comité ministériel restreint (kern), avec la participation des hauts responsables de la police et du parquet, afin de creuser davantage cette affaire. Il est probable que la direction du parquet soit fortement critiquée à nouveau.
  • Une réaction en chaîne, sous forme de démissions supplémentaires, ne semble pas se profiler au sein de la Vivaldi. Malgré les appels en ce sens. Car cette grave erreur semble reposer entièrement sur le ministre de la Justice.
  • L’opposition voit les choses différemment :
    • Pour Francken, le gouvernement entier est en partie responsable : « Il n’était pas sur le radar ». Si Van Quickenborne doit partir, tout le gouvernement doit partir. « Faute grave à tous les niveaux », a-t-il posté en majuscules sur X, se demandant à haute voix quels services avaient vu cette demande d’extradition.
    • Pendant ce temps, le Vlaams Belang réclame surtout la démission de la secrétaire d’État à la Migration Nicole de Moor (cd&v) et profite de la démission de Van Quickenborne pour remettre cette question en tête de l’ordre du jour : « Nous maintenons que de Moor porte une lourde responsabilité dans cette affaire. Pourquoi devrait-elle rester en place ?« , se demande le président du parti Tom Van Grieken dans un communiqué.

L’essentiel : Van Quickenborne a peut-être obtenu la sortie de ses rêves.

  • Une démission sans beaucoup d’agitation, où Van Quickenborne indique explicitement qu’il ne pouvait personnellement pas faire grand-chose : presque immédiatement, il a reçu des éloges de tous bords de la rue de la Loi pour avoir « redoré l’hygiène politique« . Les tweets des membres de son parti et d’opposants politiques ont afflué, saluant le courage du ministre démissionnaire.
  • De plus, Van Quickenborne peut faire disparaître en une fois la tache embarrassante du « Pipigate » sur sa réputation. Toute cette histoire l’avait mis dans une situation délicate et quelque peu embarrassante. Cependant, elle a montré son instinct de survie politique : il a parfaitement survécu à une audition à la Chambre. L’amertume a été immédiatement dissipée. Van Quickenborne peut désormais revendiquer une « démission pure et consciencieuse » dans une affaire de terrorisme internationale.
  • Au ministère de la Justice, Van Quickenborne laisse derrière lui une liste d’ambitions inachevées et de solides promesses : les prisons débordent, et avec l’application complète des peines de prison, la situation ne s’améliorera pas. Le Courtraisien ne devra plus mener sa course pour ouvrir des maisons de détention comme alternative.
  • Les conséquences sont également importantes pour le gouvernement dans son ensemble. Avec le départ de Van Quickenborne, l’un des architectes originaux de Vivaldi s’en va. Il était aussi l’un des vice-Premiers ministres les plus actifs sur la scène fédérale. C’est un coup dur pour De Croo, qui a toujours pu compter sur son vice-Premier ministre « à lui » ces dernières années. Celui qui a toujours travaillé pour la coalition plutôt que pour son parti. Cela a finalement créé des tensions avec le président de son parti, Egbert Lachaert, qui a jeté l’éponge à la sortie de l’été.
  • Dans le même temps, le deuxième des trois frères d’armes qui ont d’abord pris le pouvoir à droite au sein du parti en 2020 avant de fonder la Vivaldi, disparaît de l’Open Vld. De Croo est désormais seul du trio qui doit encore défendre pleinement ce choix de coalition.  
  • Les initiés du parti bleu soulignent donc que le timing est très opportun pour Van Quickenborne : à un an des élections, il peut chercher la rédemption et créer sa propre histoire, en dehors de cette coalition difficile.
  • De plus, il a une base de repli : dans sa ville natale de Courtrai, il est toujours le bourgmestre en titre. Il peut donc reprendre ce poste. « Ce n’est peut-être pas une mauvaise idée, car dans les sondages, il ne se porte pas si bien dans sa ville », a réagi une source libérale.
  • Des observateurs avaient déjà noté que Van Quickenborne cherchait une mue, un rôle nouveau. Il était sur le point de devenir le président de son parti, pour succéder à Lachaert. Le Premier ministre De Croo avait également envisagé cette option pendant un certain temps, pour finalement demander à son vice-Premier de rester et de maintenir le cap de la Vivaldi. Il y avait en effet une certaine résistance au sein du parti envers ce scénario : ‘Q’ ne fait pas l’unanimité en interne non plus. Maintenant, ce nouveau rôle se dessine quand même. Avec le prestige d’une démission parfaitement exécutée.

Et maintenant, qui pour le remplacer ? Nous parions sur le scénario d’Alexia Bertrand (Open Vld) pour le poste de vice-Premier, ainsi qu’un nouveau secrétaire d’État jeune.

  • « Je vais y réfléchir au cours des prochaines heures, et ici et là, obtenir quelques suggestions », a répondu le président de l’Open Vle Tom Ongena dans l’émission De Afspraak.
  • Ce « ici et là », c’est surtout une réunion au 16 rue de la Loi. Ainsi, c’est plutôt De Croo qui sélectionnera de facto un nouveau vice-Premier ministre et un nouveau membre de son gouvernement dans son propre rang.
  • Lors de l’émission Terzake, le professeur Carl Devos (UGent) a formulé une proposition assez créative pour ramener l’ancien ministre de la Justice, Koen Geens (cd&v), même si ce poste revient principalement à Open Vld. « Dans le cadre d’une forme de renouveau politique ».
  • Cela semble être un scénario peu probable, davantage une idée amusante. Cependant, la Vivaldi compte dans ses rangs une juriste qui, comme Geens, a également été formée à la prestigieuse Harvard Law School : Alexia Bertrand.
  • L’actuelle secrétaire d’État au Budget a déjà joué un rôle important au sein du gouvernement depuis qu’elle a remplacé Eva De Bleeker (Open Vld) pour gérer les comptes de la Vivaldi. Le Premier ministre l’apprécie beaucoup et elle jouit d’une bonne réputation au sein du comité ministériel restreint.
  • La solution la plus logique serait donc de confier à Bertrand le portefeuille de la Justice pour le reste de son mandat, et d’essayer de finaliser les réformes de Van Quickenborne. Ce scénario avait d’ailleurs déjà été envisagé pendant la courte période où Van Quickenborne avait envisagé de succéder à Lachaert, et où le Premier ministre semblait d’accord pendant moins de 24 heures.
  • Cela permettrait à un nouveau visage jeune de prendre le poste de secrétaire d’État à la Protection des consommateurs et à être éventuellement chargé de la mer du Nord. Cela pourrait par exemple être une opportunité pour un député comme Jasper Pillen (Open Vld) d’acquérir plus de visibilité.
  • On pourrait aussi choisir de maintenir Bertrand en place et d’opter pour un vétéran pour les postes de vice-Premier ministre et de ministre la Justice. Afin de garantir la stabilité. Patrick Dewael (Open Vld) a déjà tout fait : il pourrait recommencer.
  • Gwendolyn Rutten (Open Vld) est également juriste et pourrait certainement apporter une nouvelle dynamique à l’ensemble de la Vivaldi. Mais le Premier ministre veut-il son ancienne rivale (avec qui il s’est récemment réconcilié) si près de lui ?
  • Ce week-end, probablement dès ce samedi, De Croo prendra sa décision. C’est un enjeu non négligeable pour tirer quelque chose des derniers mois de la Vivaldi. Et surtout pour sauver les meubles pour l’Open Vld. Car les sondages restent dramatiques pour l’instant.

(OD)

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