La Banque d’Angleterre a dû intervenir sur le marché obligataire et racheter des papiers d’Etat pour calmer les choses. Avec des ventes massives, le taux de rendement a augmenté à son rythme le plus rapide en 65 ans. La dette publique gonfle à vue d’oeil, ce qui comporte de sérieux risques pour la stabilité financière.
A peine entré en fonction, le nouveau gouvernement britannique a provoqué un feu de forêt sur les marchés financiers. Un plan de réductions d’impôts, annoncé vendredi, en pleine inflation, a terrifié les investisseurs. En effet, réduire les impôts, et ainsi mettre plus d’argent en circulation peut paraître comme jeter de l’huile sur le feu de l’inflation (qui pourrait s’envoler jusqu’à 22% en glissement annuel, au début de 2023).
Résultat : vendredi, la livre sterling a littéralement fondu, passant de 1,13 à 1,04 dollar en l’espace de quelques heures. Le budget présenté par le gouvernement creuse également la dette publique, ce qui a eu un effet immédiat sur le marché obligataire : les investisseurs se débarrassent massivement de leurs obligations d’Etat. Cette vente massive et chaotique a fait exploser le taux de rendement de ces obligations, qui est passé de moins de 3,5% vendredi matin à plus de 4,5% ce mercredi matin, sur les obligations à dix ans. La plus forte hausse depuis 1957.
Un taux de rendement plus élevé peut-être intéressant pour attirer les investisseurs, comme c’est le cas avec les papiers d’État américains qui profitent d’un dollar fort. Mais c’est un poison s’il s’emballe à cette vitesse. Le gouvernement britannique doit rembourser plus sur ces papiers, ce qui creuse davantage sa dette, poussant ainsi à davantage de ventes d’obligations, ce qui augmente à nouveau le taux de rendement… un cercle vicieux. La hausse de ce taux de rendement pourrait aussi impacter les ménages et les entreprises, dirigeant l’économie britannique, déjà à genoux, vers une crise financière.
Intervention de la Bank of England, « quelle que soit l’échelle nécessaire »
La Banque d’Angleterre a dû jouer les pompiers pour calmer ce feu. En résumé, elle a suspendu son programme de vente d’obligations (tous les ans, elle se débarrasse d’obligations valant 80 milliards de livres), qui devait commencer la semaine prochaine. Au lieu de cela, elle se met à racheter des bons d’Etat à longue durée, dès à présent, a-t-elle annoncé ce mercredi matin. Cela a fait son premier effet : le taux de rendement de l’obligation à dix ans a immédiatement chuté de plus de 40 points de base, à 4,1%.
« Si le dysfonctionnement de ce marché devait se poursuivre ou s’aggraver, il y aurait un risque important pour la stabilité financière du Royaume-Uni. Cela entraînerait un resserrement injustifié des conditions de financement et une réduction du flux de crédit vers l’économie réelle », s’est exprimé la Banque, citée par CNBC. « Conformément à son objectif de stabilité financière, la Banque d’Angleterre est prête à rétablir le fonctionnement du marché et à réduire tout risque de contagion des conditions de crédit pour les ménages et les entreprises du Royaume-Uni. »
Combien d’obligations seront rachetées, cela n’est pas précisé, mais cela devrait durer pendant deux semaines. Mais pour « rétablir l’ordre sur le marché » et calmer les risques qui pèsent sur la stabilité financière, l’institution monétaire se dit prête à « l’échelle nécessaire, quelle qu’elle soit » (« whatever scale necessary« ). Une petite phrase, qui dans la bouche d’une banque centrale, qui ne va bien sûr pas sans rappeler le fameux « whatever it takes » de l’ancien président de la BCE Mario Draghi pour sauver l’euro, en 2012.
Une première chute, et après?
L’envolée des taux a commencé à chuter, certes, mais le Royaume-Uni ne semble pas sorti de l’auberge pour autant. Cette réduction d’impôts (que le FMI voit d’un très mauvais oeil) va continuer à exercer une pression sur la livre et les papiers d’Etat. En plus, en même temps, la Banque hausse les taux d’intérêt pour lutter contre les flammes de l’inflation. Ces deux politiques tirent à contre-courant et les marchés ne savent pas où donner de la tête.
Pour Antoine Bouvet, stratégiste auprès d’ING cité par CNBC, la Bank of England pourrait être amenée à racheter des papiers pendant plus longtemps que deux semaines, si la volatilité du marché obligataire continue d’augmenter. Calmer ce marché sera sa priorité absolue pour l’instant, selon l’expert. La Banque devrait aussi continuer les hausses des taux d’intérêt pour freiner l’inflation.
Il y a cependant un problème inhérent à ce rachat d’obligations. D’un côté, cela calme le marché, mais d’un autre côté, « racheter des obligations » se traduit par : « imprimer de l’argent« . Dans un contexte d’inflation et de perte de valeur de la devise nationale, imprimer de l’argent n’est pas sans risque pour l’économie. Voilà une difficulté de plus pour la Banque d’Angleterre, à l’heure où le Royaume-Uni est sur le chevet de la récession.