Révolution à Singapour : la cité-Etat veut instaurer un impôt sur la fortune et réussir là ou la France a échoué

Pour un « après-pandémie » plus progressif, le gouvernement de Singapour travaille sur un impôt net sur la fortune. Vendredi, des premières mesures dans ce sens sont déjà entrées en vigueur. Singapour, ville-Etat des affaires par excellence, ne veut pas perdre sa compétitivité, et mise sur d’autres points d’attraction, non fiscaux.

Le vent tourne dans ce paradis fiscal, qui veut introduire un impôt sur la fortune. Comme le prévoit le budget de l’île pour 2022, vendredi dernier les impôts pour les plus hautes classes des salaires ont été augmentés, notamment concernant l’immobilier et les véhicules. L’augmentation touchera 1,2% de ceux qui gagnent le plus, et devrait rapporter 170 millions de dollars de Singapour (111 millions d’euros) à l’Etat.

Mais Singapour ne compte pas s’arrêter là : le paradis fiscal est en train d’étudier de près des impôts sur la fortune, notamment sur les revenus sur capital, sur les dividendes, et un impôt net sur la fortune des particuliers.

L’île attire les fotunés et les entreprises étrangères notamment à cause des taxes avantageuses. Instaurer une telle batterie de mesures fiscales, ne les feraient-ils pa fuir? Le ministre des Finances Lawrence Wong (People’s Action Party, décrit comme conservateur et de centre-droite) le reconnaît : « Le problème de ce type d’impôt sur la fortune est que la richesse et les flux financiers sont très mobiles. Et si nous devions légiférer mais que d’autres juridictions n’ont pas de taxes similaires, il est très facile pour la richesse de quitter Singapour pour un autre endroit », explique-t-il à CNBC.

Une tâche complexe ; qu’est-ce que la fortune?

Le ministre sait donc que la tâche n’est pas aisée. D’abord, il est assez compliqué d’évaluer la fortune des particuliers, explique-t-il. « Idéalement, nous voudrions taxer la richesse nette des individus. Mais une telle taxe n’est pas facile à mettre en œuvre efficacement », lançait-il vendredi, lors de la présentation des nouvelles mesures fiscales.

Ensuite, d’autres pays ont même arrêté ce type d’impôt, ou des projets dans ce sens, notamment l’Allemagne, la France, et le Danemark. Wong reconnaît cette tendance à la baisse : au sein de l’OCDE, seuls trois pays imposaient la fortune (en 2020), contre 12 en 1990.

Singapour avance donc à tâtons et continue d’étudier les options. Au micro de CNBC, Wong affirme que les nouvelles règles fiscales concernant l’immobilier et les voitures étaient motivées par la volonté de taxer la richesse, « de manière pratique, par les moyens existants ».

Rester compétitif malgré tout

Au-delà de cette taxation des plus aisés, Singapour devra également instaurer une taxe sur le revenu des grandes entreprises multinationales, à hauteur de 15%, dès 2023, décidée en octobre dernier par l’OCDE.

« Mais nous n’avons jamais compté uniquement sur les taxes pour rivaliser pour les investissements », assure Lawrence Wong. « Ce que cela signifie pour Singapour, c’est que nous devons redoubler d’efforts pour renforcer nos facteurs de compétitivité non fiscaux. » L’île mise en effet sur son infrastructure, sur sa main-d’oeuvre compétente, ainsi que sur le renforcement de l’environnement général propice aux affaires, ajoute-t-il. « Nous sommes déterminés à faire en sorte que Singapour reste l’un des meilleurs endroits au monde pour le business. »

Le pourquoi : un « après-pandémie » plus progressif

Lawrence Wong expose encore les raisons de cette volonté de taxer davantage les riches. « Une fiscalité plus équitable et plus progressive contribuera à la cohésion de la société singapourienne à l’aube d’un nouvel avenir post-pandémique qui s’annonce plus volatil », réfléchit-il.

Il n’est pas contre les personnes qui réussissent et qui gagnent de l’argent, et qui accumulent des richesses. C’est quelque chose de bien, réfléchit-il encore. « Mais dans le cadre de notre pacte social renouvelé et renforcé, nous voulons que chacun paie sa part d’impôts – et que ceux qui ont le plus de moyens contribuent davantage », conclut-il.

Vont-ils quitter Singapour pour aller s’installer dans une autre région? Singapour perdra-t-elle alors son aura de hub des affaires ? Ses facteurs d’attraction non fiscaux seront-ils suffisant pour garder la ville-Etat compétitive et prospère? L’avenir nous le dira, mais le jeu d’équilibriste demandera certainement de la délicatesse.

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