Tant en Wallonie qu’au fédéral, une réforme fiscale se prépare. But de l’opération: rendre la fiscalité plus juste et diminuer la pression sur la classe moyenne. Sauf que cela nécessite de s’attaquer à des niches fiscales qui touchent principalement la fortune et la rente. Le MR freine des quatre fers et ça peut se comprendre, les libéraux sont dans une situation quelque peu schizophrénique : s’attaquer à leurs niches électorales au profit d’une classe moyenne disparate. En Wallonie, le ministre du Budget Jean-Luc Crucke (MR) en a fait les frais.
Dans l’actualité: Jean-Luc Crucke désavoué par son propre parti.
- Un ministre désavoué par son propre groupe politique au Parlement et par son président de parti, c’est plutôt suprenant. C’est la mauvaise expérience qu’a connue hier Jean-Luc Crucke, qui emmenait sa réforme fiscale dans la dernière ligne droite.
- Cette réforme voulait s’attaquer à des niches fiscales « pour rendre de l’oxygène aux classes moyennes ». Une sorte de lutte contre les zones grises qui permettent d’échapper ou de contourner certains impôts. Sont dans le collimateur: les règles de succession et de donation, les droits d’enregistrement ou encore l’immatriculation de véhicules utilitaires pour les particuliers.
- Le coup de semonce est venu du top du parti, Georges-Louis Bouchez demandant à son ministre d’attendre « une profonde analyse pour connaitre les besoins réels de la Wallonie » et mobilisant le groupe politique du MR mené par Jean-Paul Wahl. Ce dernier a bien tenté de calmer le jeu mais le ministre est touché, isolé.
- Jean-Luc Crucke s’est engagé personnellement dans cette réforme et affirme que son report n’est pas de son choix. Il s’exécutera mais promet « de tirer ses conclusions le moment venu ». Une démission est-elle envisagée, s’interroge la presse francophone ? On sait que Crucke et Bouchez ont un certain passif et des différends à régler. Ils représentent aussi deux tendances du parti: l’une qui se rapproche du libéralisme social, l’autre plus conservatrice incarnée par le jeune président.
Le détail: une réforme fiscale qui fait écho à une autre.
- Une réforme fiscale pour « un impôt plus juste ». Cela fait farouchement penser à la réforme fiscale menée au fédéral par le démocrate-chrétien Vincent Van Peteghem (CD&V). Une première version qui faisait suite au travail des experts avait effrayé les libéraux francophones. À l’époque, Georges-Louis Bouchez s’était fendu d’un tweet sans équivoque: « Le groupe de travail a rédigé un tract de gauche, pas celui du gouvernement. Il faut baisser les impôts et supprimer les taxes. »
- Le rapport qui avait fuité dans la Libre se résumait comme ceci: moins de charges sur le travail (IPP) en échange de plus d’impôts sur la fortune. On y retrouvait un impôt plus strict sur les revenus locatifs (30%), sur les plus-values immobilières (25%) et sur les actions (30%).
- S’il est vrai que cette réforme va encore plus loin, en visant par exemple à supprimer progressivement le 3e pilier des pensions, on ne peut s’empêcher d’y voir la même dynamique.
L’essentiel: le MR est coincé entre la classe moyenne et les classes supérieures.
- Le président du MR le répète à qui veut l’entendre: son parti veut absolument diminuer la pression fiscale sur le travail, un refrain bien connu des libéraux. Mais le discours s’est sans doute resserré plus qu’avant sur cette fameuse classe moyenne qui « est pressée comme un citron ».
- Georges-Louis Bouchez aime rappeler qu’il vient d’un milieu modeste. Pas question d’abandonner la classe moyenne à la gauche et à la gauche de la gauche. Le MR se place du côté de ceux qui travaillent.
- Sauf que diminuer la pression fiscale sur une grande partie de la population demande à aller chercher de l’argent autre part pour maintenir les comptes de l’État à l’équilibre. Et on voit bien à travers ces deux réformes fiscales que cet argent, il peut être cherché dans les poches des plus nantis, de ceux qui possèdent notamment de l’immobilier, qui vivent des rentes familiales.
- Le MR s’attaquerait là à l’un de ses noyaux électoraux historiques. C’est une situation schizophrénique qui a déjà mené le président des libéraux à faire quelques exercices de contorsion. Dans La Libre, début octobre, il expliquait que « même à 4.000, 5.000 ou 6.000 euros par mois, on n’est pas « riche ». Je sais que cela va faire réagir certains. Mais il faut arrêter avec cette pudeur ridicule du côté francophone à l’égard de l’argent. »
- Où est la limite ? Question difficile. Avec un patrimoine immobilier de 1.570 milliards d’euros, on sait que les Belges ont une brique dans le ventre. Avec d’énormes disparités. Et puis, si la Belgique est l’un des pays où l’on taxe le plus le travail, le Royaume bénéficie d’une certaine souplesse au niveau du patrimoine et de la fortune, pensez à ces riches français qui viennent s’installer en Belgique.
- Le MR marche sur des œufs et devra sans doute faire un choix: il ne peut contenter tout le monde.