L’Europe discute du successeur des fameux critères de convergence de Maastricht : quel est le montant de la dette qu’un pays de l’UE est autorisé à contracter, et avec quel déficit budgétaire ? Le « Nord frugal » (Pays-Bas, pays scandinaves, Autriche…) est diamétralement opposé au « Club Med » (France, Italie, Espagne…). Et la Belgique ? Eh bien, le PS, par l’intermédiaire du secrétaire d’État Thomas Dermine (PS), a mis sur la table une offre assez offensive qui nous mettrait au beau milieu du Club Med. Mais dans l’hémicycle, De Croo a rappelé à l’ordre son secrétaire d’État : « C’est le ministre van Peteghem (CD&V) qui a la compétence sur cette question ».
Dans l’actualité : l’Europe entame le processus d’une éventuelle réécriture des règles budgétaires.
Les détails : il n’a pas fallu longtemps avant que cela ne crée quelques dissensions au sein de la Vivaldi.
- « C’est le ministre compétent Vincent Van Peteghem (CD&V) qui mène les discussions. Entre autres auprès de la Commission européenne. C’est lui qui en assume l’entière responsabilité ». Le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) a mis les points sur les i et les barres sur les t hier devant la Commission des affaires intérieures.
- C’était nécessaire, car le PS, avec Thomas Dermine, s’était fait entendre dans le débat sur la discipline budgétaire dans la zone euro, et surtout sur son avenir.
Le contexte : Mardi, la Commission européenne a officiellement ouvert les débats sur cette question politiquement très sensible.
- À partir de 2023, la suspension des normes de Maastricht ne s’appliquera plus. En principe, chaque État membre devrait donc revenir aux « anciennes » normes, à savoir un maximum de 3 % du PIB pour le déficit budgétaire et 60 % du PIB pour la dette.
- Ce dernier critère n’a plus été atteint depuis des années par un certain nombre de pays de la zone euro. Et la crise sanitaire a fait augmenter énormément les dettes de nombreux pays : La France, l’Espagne, la Grèce, l’Italie, Chypre, le Portugal et la Belgique (les pays dits du Club Med) ont tous un ratio d’endettement supérieur à 118 %, soit près du double de l’ancienne norme de Maastricht.
- Le processus est dirigé via la Commission européenne par le socialiste italien Poalo Gentiloni, commissaire européen à l’Économie. Bien sûr, ce qu’il veut est clair : des normes beaucoup plus souples. « Nous supposons que l’esprit du ‘retour à la rigidité’ est désormais révolu ». Il a plaidé pour une « position de soutien ».
- Mais à ses côtés se trouve le chien de garde, Valdis Dombrovskis, le commissaire letton au Commerce, qui vient du camp de la droite et plaide plutôt pour l’orthodoxie budgétaire. Il est clair que des pays comme l’Autriche et les Pays-Bas ne veulent pas assouplir toutes les règles de la zone euro juste comme ça. Après tout, sans la poigne de fer de l’Europe, de nombreux États membres menacent de faire dérailler leur budget. Et cela met finalement une grande pression sur le projet commun d’une monnaie unique.
- En février-mars, la discussion devrait être terminée. Tôt ou tard, la Belgique devra s’engager dans cette discussion : dans le passé, nous avons hésité entre l’appartenance aux pays du Club Med (ce que voulait certainement le MR du gouvernement suédois) et le Nord (ce dont rêvait le ministre des Finances de l’époque, Johan Van Overtveldt (N-VA)).
La réalité politique : La Vivaldi n’est pas la Suédoise.
- Alors qu’au sein de l’équipe suédoise, la tension entre le Premier ministre Charles Michel et son ministre des Finances N-VA était parfois palpable, aujourd’hui, il n’y a plus un seul parti qui soit réellement sur une voie « nordique ».
- Bien sûr, tant l’Open Vld (où De Croo, en tant que ministre des Finances avant la crise corona, était encore farouchement opposé aux euro-obligations, entre autres) que le CD&V sont aujourd’hui prudents : ils ne se voient pas sur la même ligne que les « vrais » pays du Club Med. Se débarrasser simplement de toutes les règles budgétaires et s’endetter à l’infini va à l’encontre de leur conception de l’État.
- Mais le PS veut plus : il s’engage dans une voie beaucoup plus radicale, celle de la Nouvelle Théorie Monétaire, dont fait par exemple partie l’économiste américaine Stephanie Kelton. Elle implique à peu de chose près que les pays de la zone euro, soutenus par la BCE, peuvent en fait s’endetter autant qu’ils le souhaitent.
- Le secrétaire d’État Thomas Dermine, le golden boy du PS, a donné une interview-choc à ce sujet dans L’Echo et De Tijd mardi. Cette sortie est passée quelque peu inaperçue, car le grand patron du PS, Paul Magnette, a envoyé des missiles à destination des libéraux mais aussi d’Ecolo le même jour.
- Mais la position de Dermine n’est pas moins imposante : il veut 5 000 milliards d' »investissements verts » de l’UE. Ces milliards devront tout simplement être financés en s’endettant davantage.
- Dermine a employé les grands mots : « Si nous n’allons pas jusqu’au bout maintenant, la crédibilité de l’Europe en tant que projet politique est en jeu. »
- Et, bien sûr, il a ciblé les anciens critères de Maastricht : « La norme des 3 % a clairement entraîné une baisse considérable des investissements publics au cours des dernières décennies. Une solution pourrait consister à accorder une immunité aux investissements verts, afin qu’ils ne soient pas pris en compte dans la norme. »
- Au passage, on peut noter qu’il s’agit d’une d’ouverture classique dans les négociations de la Vivaldi : « Commencez toujours par une offre radicale, même si infondée », peut-on lire dans les manuels de Harvard, où Dermine a fait ses études. La question reste de savoir si cela peut fonctionner, en poussant la Vivaldi dans les bras du Club Med.
- « Vous avez un certain nombre de personnes dans votre gouvernement, en particulier monsieur Dermine, qui ne se rendent pas compte qu’ils sont ministres ou secrétaires d’État dans votre gouvernement. Dermine continue d’accélérer sur la ligne PS, ce que l’on attendrait plutôt d’un Paul Magnette. Mais ici, c’est votre Secrétaire d’État qui le fait. Et ce faisant, il embarrasse dans une certaine mesure votre ministre des finances et vice-premier ministre Vincent Van Peteghem (CD&V). Et vous aussi, en fait », a déclaré le député Sander Loones (N-VA) devant la commission des affaires intérieures.
En résumé : L’astuce consistant à « maintenir les investissements hors du budget » devient un élément clé du débat européen.
- En tout cas, c’est une technique qui revient de plus en plus souvent en cette période de reprise économique : les « investissements » comptent-ils dans un budget public ? Et surtout : que peut-on glisser sous la rubrique « investissements » pour que le budget paraisse soudainement plus ordonné ?
- Les gouvernements wallon et bruxellois ont déjà eu recours à cette méthode de comptabilité créative, mais les gouvernements flamand et fédéral en ont également été coupables : l’Europe a vu clair dans cette technique et les a sanctionnés cette semaine.
- Mais pour les futures règles de la zone euro, cette technique pourrait bien être la porte d’entrée des pays du Club Med pour ouvrir toute la discussion. Car, comme le souligne également Dermine, une forte offensive est en cours pour laisser les « investissements verts » hors des budgets à l’avenir.
- Il y a la réalité brutale des ambitions climatiques : si l’Europe veut vraiment réduire ses émissions de CO2 de 55 % d’ici à 2030, elle aura besoin d’environ 520 milliards d’euros d’investissements par an. Cet argent devra venir de quelque part.
- Ainsi, le CD&V et l’Open Vld veulent donc toujours des normes strictes pour succéder aux règles de Maastricht. Mais en même temps, ils ont déjà laissé une porte entrouverte : pour les « investissements productifs », des exceptions devraient être possibles, comme l’a déjà précisé Vincent Van Peteghem (CD&V).
- La question sera donc de savoir dans quelle mesure toutes ces exceptions (vertes) rendent les règles strictes sérieuses : si trop de choses peuvent être accommodées, tout cadre pour un budget ou une dette au sein de la zone euro cessera d’exister.
- Dans le même temps, la réalité est que la Belgique, en raison des dépenses corona, s’est considérablement enfoncée en termes de dette nationale : imposer des normes strictes, dont vous risquez vous-même, en tant que politicien, d’être la « victime » à chaque examen du budget, n’est pas évident. Et d’ailleurs, cela ne vaut pas seulement pour le gouvernement fédéral, mais aussi pour les gouvernements wallon et bruxellois.