Pour le président chinois Xi Jingping, la lutte contre le désastreux gaspillage alimentaire est une priorité absolue.
Lors de l’investiture de l’actuel président chinois Xi Jinping en 2013, celui-ci a évoqué ses expériences lors de la famine provoquée par le Grand Bond en avant de Mao dans les années 1950 et 1960. Même lui, pourtant membre de l’élite, n’avait souvent pas plus qu’un bol de soupe pour le dîner. Pendant la Révolution culturelle (1966-1976), Xi a même parfois oublié le goût de la viande pendant des mois. Ces temps difficiles ont poussé des générations entières de Chinois à être extrêmement économes en nourriture.
Cependant, aujourd’hui, la situation en Chine a complètement changé. Quelque 40 ans après les grandes réformes économiques de Deng Xiaoping, qui ont ouvert davantage la Chine à l’économie mondiale, le pays est redevenu un lieu de grande prospérité. Mais aussi le théâtre d’un énorme gaspillage alimentaire.
Les Chinois sont responsables d’un tiers du gaspillage alimentaire mondial
Il est difficile d’estimer la quantité de nourriture que les Chinois jettent. Les chiffres sont certainement colossaux.
Selon une étude publiée l’an dernier par Nature, le total annuel de nourriture gaspillée en Chine s’élève à 350 millions de tonnes. Des universitaires chinois ont estimé qu’en 2015, les citoyens des grandes villes jetaient quelque 18 millions de tonnes de nourriture par an. Cela suffirait à nourrir 30 à 50 millions de personnes chaque année. Selon l’universitaire chinois Chen Shaofeng, le gaspillage alimentaire annuel de la Chine représenterait actuellement au moins un tiers du total mondial. L’ensemble de la population mondiale serait responsable d’un gaspillage alimentaire annuel pouvant atteindre 931 millions de tonnes.
Le fait que les Chinois puissent manger en abondance et avoir suffisamment de nourriture à jeter n’est pas seulement dû à la prospérité croissante du pays. La culture chinoise est imprégnée de la notion de perte de la face, où une tournure malencontreuse et publique des événements porte atteinte à la position sociale d’une personne.
Lors de grands banquets, il est normal que l’hôte veille à ce que des montagnes de nourriture soient apportées, même si tout le monde a déjà eu plus qu’assez à manger, explique The Economist. Laisser une assiette vide est considéré comme un signal que l’hôte n’a pas pu fournir assez de nourriture. Chacun veut donc se surpasser dans l’abondance de la nourriture qu’il offre. Naturellement, les problèmes de déchets alimentaires finissent par s’accumuler.
Mukbang : les excès de nourriture en streaming
La culture alimentaire incontrôlée des Chinois est toutefois un problème soulevé par Pékin et par le président Xi Jinping en personne. En 2020, celui-ci a déjà qualifié le problème alimentaire de son pays de « choquant et inquiétant« . Un an plus tard, les autorités ont introduit une loi contre le gaspillage alimentaire. Cette loi contient en fait un ensemble de nouvelles règles visant, par exemple, à assurer un stockage plus efficace des céréales ou à faciliter le don des restes de repas par les restaurants.
La diffusion en continu de mukbang, un spectacle en direct qui met en scène la boulimie, un phénomène devenu populaire en Corée du Sud, a également été interdite. Des amendes allant jusqu’à 10.000 yuans, soit 14.296 euros, sont en vigueur aujourd’hui pour ceux qui diffusent en continu leurs excès alimentaires en Chine.
Laisser une assiette propre
Avec cette nouvelle législation, la Chine espère que ses citoyens apprendront à manger de manière « plus modérée » et aussi plus saine et « civilisée ». Xi Jinping et d’autres hauts fonctionnaires encouragent par exemple activement le comportement consistant à laisser une « assiette propre » après un repas.
Les autorités espèrent surtout voir des changements rapides lors des fêtes et des banquets,. Selon des chercheurs du gouvernement, 40% de la nourriture des banquets de mariage, des dîners d’affaires et des dîners sociaux est jetée, rapporte The Economist. La culture alimentaire festive de la Chine engendre « une mauvaise atmosphère faite d’ostentation, d’excès et de peur de perdre la face », explique le journal d’État chinois People’s Daily.
Mais si la plupart des lois visent à modifier le comportement alimentaire des Chinois, les techniques des fournisseurs de produits alimentaires devront également changer, souligne The Economist. Selon l’étude précitée parue dans Nature, la moitié des déchets alimentaires chinois naissent au cours du processus de production.
Cette situation est particulièrement inquiétante lorsque l’on sait que cette année, selon le ministère américain de l’agriculture, la Chine possédera 69% du maïs disponible dans le monde, 60% des réserves mondiales de riz et 51% de celles de blé.