Bal masqué au Parlement européen : ces ONG qui sont des lobbies déguisés

L’UE a un registre de la transparence, où les groupes d’intérêts actifs doivent (ou peuvent, selon les cas) indiquer leur activité et leurs rencontres avec les décideurs. Or, il s’avère que de nombreux lobbies, qui représentent les intérêts de grands groupes, y figurent comme des ONG.

Pourquoi est-ce important ?

Les institutions publiques de l'Union européenne voient la confiance de la population s'éroder. Elles subissent une réputation selon laquelle les lobbies influencent trop leurs décisions et mettent donc en danger pour la démocratie. Avec ce fameux registre de la transparence, elles voulaient s'attaquer à une certaine opacité qui règne autour des prises de décisions, mais cette volonté peut se retourner contre elles.

Les faits : le registre de la transparence.

  • Depuis 2011 pour la Commission européenne (obligatoirement) et depuis 2021 pour le Parlement européen (volontairement), les groupes d’intérêts qui fréquentent des hommes et femmes politiques européens doivent s’inscrire dans un registre de transparence (et y indiquer les rencontres faites).
  • Il y a plus de 12.500 groupes enregistrés. Ils sont regroupés dans trois catégories. Ceux qui ne représentent pas d’intérêts commerciaux, avec 3.510 entrées, ceux qui représentent leurs clients, avec 674 entrées et ceux qui représentent « leurs propres intérêts ou les intérêts collectifs de leurs membres », avec 8.300 entrées.
  • Une autre division montre une autre image différente. La catégorie qui reprend le plus de groupes enregistrés – 3.497 – s’intitule « Organisations, plates-formes et réseaux non gouvernementaux et similaires ».
capture d’écran : registre de la transparence de l’UE

Les « ONG » qui n’en sont pas vraiment

L’essentiel : les lobbies déguisés en ONG.

  • Le quotidien italien Il Corriere della Sera s’est penché sur ce registre, et y a découvert quelques éléments qui peuvent interpeller.
  • D’abord, « les critères des catégories étant vagues et trop généraux, ce système de classification se révèle peu fiable », selon Transparence International, une organisation qui défend la transparence afin de lutter contre la corruption.
  • Une situation qui permet que des groupes comme des lobbies, des fédérations professionnelles ou des entreprises s’enregistrent comme des ONG.
    • Le quotidien italien note par exemple l’Union italienne pour l’huile de palme durable, qui défend officiellement la promotion de l’huile de palme durable auprès des entreprises. En réalité, cette organisation est financée par des groupes comme Nestlé et Ferrero. Pareil pour d’autres secteurs : une ONG pour un mode de vie sain dont le président est aussi le directeur d’un des plus grands groupes d’équipements sportifs du monde (Technogym).
    • Il y a aussi « Elettricità Futura », qui représente plus de 500 entreprises italiennes du secteur de l’énergie. Une asbl qui a vu sa catégorie changer après des demandes d’informations du journal, et figure désormais dans le groupe des représentants professionnels.
    • Business AM a jeté un œil sur les organisations reprises dans la catégorie « Organisations, plates-formes et réseaux non gouvernementaux et similaires » qui sont enregistrées en Belgique. Il y en a 776. Force est de constater qu’il y a de nombreux groupes qui reprennent « fédération professionnelle » dans leur nom. Il y a aussi le « Council of European Energy Regulators », qui regroupe les régulateurs de l’énergie des différents pays européens… qui sont toutes des autorités publiques et n’ont rien d’une « organisation non gouvernementale ».
  • Autre fait intéressant : sur les 161 « ONG » italiennes, 132 indiquent n’avoir effectué aucune rencontre avec des députés. Ce qui peut paraître curieux, car c’est leur mission et le but pour lequel elles s’inscrivent. Mais comme dit plus haut, ce renseignement se fait sur une base volontaire (pour les rencontres avec des parlementaires).

Un problème de contrôle

Le problème : Comment cela se fait-il ?

  • Le représentant d’une entité publique, qui se trouve sous l’autorité de différents ministères italiens et était reprise dans la catégorie « ONG » du registre, répond au Corriere que son organisation est en effet une organisation à but non lucratif, et que c’est pour cela qu’elle s’est retrouvée dans cette catégorie (elle s’est retirée du registre depuis).
  • Il pourrait en effet s’agir d’erreurs administratives. Mais cela ne permet pas de tout expliquer.
    • Le risque est que des lobbys pourraient vouloir profiter du statut noble d’une ONG. Ils pourraient ainsi profiter de la faille et s’inscrire en tant qu’ONG.
  • Il y n’y a pas ou très peu de balises qui permettent de limiter ces abus, explique Transparency International. D’abord, pour s’inscrire, c’est de l’auto-déclaration. Ensuite, il n’y a pas de véritable contrôle. À part il y a deux ans, lorsque neuf contrôleurs ont été désignés par la Cour des Comptes de l’UE. Ils avaient supprimé 30% des 3.360 entités reprises dans la catégorie des ONG, « pour inéligibilité ou absence de mise à jour ».

L’enjeu : la confiance dans les institutions publiques encore plus plombée.

  • Bref, ce grand cafouillage crée dans tous les cas l’impression que de nombreux lobbys profitent de l’occasion pour redorer leur blason en tant qu’ONG. La confiance de la population envers les institutions de l’UE n’en est que davantage plombée. Surtout que l’UE profite déjà d’une sinistre réputation selon laquelle ce sont les lobbys qui prennent toutes les décisions. C’est du pain béni pour les extrêmes et un réel danger pour la démocratie.
  • Le récent Qatargate, où des parlementaires accusés de faits de corruption se retrouvent en détention provisoire, ne va certainement pas inverser cette tendance. Mais il pourrait être l’occasion de faire un nouveau coup de balai dans ce registre – sachant que ce sont des ONG qui sont au centre de l’affaire, à savoir Fight Impunity et No Peace Without Justice.
Plus