Dans un plaidoyer étonnant pour un aspirant Premier ministre, Paul Magnette préconise un monde sans croissance. Un monde dépourvu de croissance condamnerait notre gouvernement à la faillite, mettrait fin à notre modèle d’État providence et nous plongerait dans une société encore plus divisée. Loin d’être un idéal, un monde sans croissance est un scénario apocalyptique.
Paul Magnette, qui a déjà manifesté son ambition de devenir le prochain Premier ministre, a récemment défendu dans Knack l’idée de l’« agrowth », qu’il définit comme l’absence de croissance. Pour lui, il n’est plus nécessaire de croître, mais plutôt de mieux redistribuer. Cette idée est extrêmement dangereuse : elle pourrait détruire notre État providence et accentuer la polarisation de notre société, déjà bien marquée. Un tel concept ne peut certainement pas constituer une base pour la politique d’un futur Premier ministre.
Champion de la redistribution
La proposition de Magnette en faveur d’une plus grande redistribution s’inscrit dans une campagne plus vaste pour des impôts plus justes, donc plus élevés, des allocations sociales accrues et une intervention renforcée de l’État. Il omet de considérer que la Belgique est déjà l’un des États providence les plus redistributifs parmi les pays industrialisés, avec une des distributions de revenus les plus équitables. Cette redistribution supplémentaire impliquerait probablement une augmentation des taxes, notamment sur les multinationales, les grandes fortunes et les hauts revenus, ainsi qu’une hausse des allocations sociales. Or, la Belgique affiche déjà la deuxième plus forte pression fiscale totale et les deuxièmes plus importantes dépenses publiques en Europe. Bien que ce modèle puisse théoriquement être poussé plus loin, il existe des limites pratiques à cette redistribution. Une pression fiscale excessive pourrait repousser les entreprises et les capitaux, menant à un ralentissement économique et nécessitant une fiscalité encore plus lourde pour financer des dépenses publiques croissantes. Tester les limites de cette redistribution risque fort de compromettre notre prospérité future.
Une société sans croissance
L’idée d’une société sans croissance est encore plus alarmante. Elle révèle une méconnaissance totale de l’importance de la croissance pour notre économie et notre société. Sans croissance, celles-ci seraient radicalement différentes. La croissance économique est essentielle pour nos pensions, nos finances publiques, la transition écologique et la cohésion sociale.
- Facture du vieillissement : avec le vieillissement de la population, nos dépenses en pensions et soins de santé vont augmenter. Les prévisions de la Commission d’étude sur le vieillissement indiquent une hausse des dépenses sociales de l’ordre de 20 milliards d’euros actuels d’ici 2070. Cependant, ce scénario repose sur une hypothèse de croissance économique continue. Sans cette croissance, la facture serait bien plus salée. Selon la Commission, nous pourrions à long terme faire face à une facture de vieillissement avoisinant les 80 milliards.
- Dette publique : la croissance économique est nécessaire pour maintenir notre dette publique à un niveau supportable. Sans croissance, une spirale d’endettement incontrôlable ferait exploser notre dette. Les scénarios standards partant de l’état actuel de nos finances publiques suggèrent qu’en l’absence de croissance économique, notre dette publique pourrait grimper à 400 % d’ici 2060. Il s’agit d’une simulation, non d’une prédiction. Dans un tel scénario, les marchés financiers exerceraient rapidement une pression accrue.
- Durabilité : la transition écologique, qui s’accélérera dans les années à venir, nécessite d’importants investissements de la part des entreprises, des ménages et des gouvernements. Pour réaliser ces investissements, une croissance économique accrue est indispensable, pas l’inverse. Sans croissance, il sera de plus en plus difficile de mobiliser les ressources nécessaires à cette transition.
- Jeu à somme nulle : en l’absence de croissance, notre économie se transformerait en un jeu à somme nulle, où les individus ou groupes ne pourraient progresser qu’aux dépens des autres. Sauf à abandonner nos aspirations à un meilleur avenir pour nous et nos enfants, l’absence de croissance nous conduirait vers un monde encore plus divisé que celui que nous connaissons.
Un avenir sombre
Une économie ou société sans croissance est loin d’être un idéal. Dans un tel scénario, notre gouvernement serait rapidement en faillite, et nous devrions dire adieu à notre État providence actuel. La transition écologique serait ralentie plutôt qu’accélérée, et nous serions tous, à terme, plus mal lotis. Il est extrêmement préoccupant qu’un candidat au poste de Premier ministre puisse soutenir un tel scénario. Pour relever nos nombreux défis, notamment sociaux et environnementaux, une croissance économique accrue est essentielle, et non l’inverse.
À propos de l’auteur : Bart Van Craeynest est économiste en chef au Voka.