“Monter les gens les uns contre les autres est devenu le business model de certains dirigeants”

Aux Etats-Unis, la candidature de Brett Kavanaugh, un ultra-conservateur qui brigue un poste de juge à vie à la Cour suprême est devenu un nouveau sujet de controverse.

Kavanaugh a été nommé par le président américain Donald Trump et s’acheminait vers une confirmation du Sénat, quand une professeure de psychologie, Christine Blasey Ford, l’a accusé d’avoir tenté de la violer il y a 36 ans, lorsque tous deux étaient adolescents. Elle a confirmé ces faits sous serment ; de son côté, Kavanaugh a également déclaré sous serment qu’il n’avait jamais agressé cette femme.

Les démocrates se sont emparés de ce nouveau rebondissement pour s’opposer à sa candidature. Les médias font leurs choux gras de cette affaire qui divise un peuple américain déjà très fracturé, multipliant les émissions sur le sujet. De son côté, Trump maintient fermement son soutien à Kavanaugh, et vilipende les démocrates pour leurs accusations.

« Jamais je n’aurais pensé que je finirai ma carrière en couvrant une guerre civile en Amérique »

« J’ai commencé ma carrière de journaliste en couvrant une guerre civile au Liban. Jamais je n’aurais pensé que je finirai ma carrière en couvrant une guerre civile en Amérique », écrit Thomas Friedman, le journaliste  triple lauréat du prix Pulitzer, dans sa chronique du New York Times.

« Bien sûr, nous avons fait l’expérience de moments d’intenses troubles sociaux depuis la guerre civile américaine de 1861. J’ai grandi avec l’assassinat de Martin Luther King et les combats de rue motivés par les droits civiques et le Vietnam. Et pourtant, ce moment semble pire, bien moins violent, Dieu merci, mais bien plus conflictuel. (…)

Il y a une rupture profonde entre nous, entre nous et nos institutions, et entre nous et notre président.

Nous ne parvenons pas à trouver un terrain d’entente sur lequel nous pourrions être en désaccord de façon respectueuse ; l’autre côté est « l’ennemi ». Nous nous crions dessus à la télévision, nous nous désabonnons les uns des autres sur Facebook et nous tirons des boulets rouges verbaux dessus sur Twitter – et de nos jours, tout le monde est sur le champ de bataille numérique, et plus seulement les politiciens. (…)

Que se passera-t-il lorsque le pays entrera en récession ?

Et plus rien n’est sacré. Brett Kavanaugh s’est défendu l’autre jour avec le genre d’attaques méchantes partisanes et les horribles théories conspirationnistes que l’on ne s’attendrait à entendre que de la bouche d’un animateur de radio, et jamais d’un candidat au poste de juge à la Cour suprême. Qui pourra s’attendre à un traitement équitable de sa part désormais ?

Et cette fracture se produit dans un contexte de marché boursier haussier et de taux de chômage en baisse. Imaginez-vous ce que cela donnera lorsque nous serons confrontés à la prochaine récession ? (…)

Au début des années 2000, la plupart des emplois moyennement qualifiés à hauts salaires ont disparu. Désormais, il y a seulement des emplois hautement qualifiés à hauts salaires, et des emplois faiblement qualifiés à faibles salaires. Et ceci a fracturé la classe moyenne et laissé pour compte beaucoup de monde. La fin de la Guerre froide signifie que plus aucun ennemi étranger ne nous rassemble plus, à l’exception d’une brève période après l’attentat du 11 septembre. Et le GOP [le parti républicain américain] est devenu fou.

De nombreuses pommes de discorde

C’est pour ça qu’il sera difficile d’imposer une trêve à la guerre civile de notre génération. Il y a tant de fronts. Il y a le combat entre ceux qui sentent que le rêve américain leur a échappé et ceux qui pourront facilement le transmettre à leurs enfants. Il y a celui entre les Américains des petites villes rurales et les citadins « mondialisés » qui, les gens des petites villes en sont certains, les méprisent. Il y a la lutte entre les Américains blancs de la classe ouvrière qui sentent que leur identité se perd dans un pays qui devient de plus en plus majoritairement composé de minorités, et les Américains qui adoptent le multiculturalisme. Et il y a le combat entre les hommes qui pensent que leur sexe leur confère toujours certains pouvoirs et privilèges, et les femmes qui les défient. Il y a tant de domaines de désaccord.

Et non seulement nous avons perdu les tampons et les coussins que nous avions autrefois, mais une génération de dirigeants s’est imposée, menée par Donald Trump, pour qui alimenter ces divisions est devenu leur business-model.

Le « mode partisan » troqué contre le « tribalisme »

Dans le fond, nous avons abandonné « le mode partisan » qui permettait finalement de trouver des compromis politiques en faveur du « tribalisme », qui ne le permet pas, comme l’explique lepolitologue Norman Ornstein, coauteur avec Thomas Mann de l’ouvrage : “It’s Even Worse Than It Looks: How the American Constitutional System Collided With the New Politics of Extremism.” Dans un monde tribal, la règle, c’est règne ou meurt, le compromis est un péché, les ennemis doivent être écrasés et le pouvoir détenu à tout prix. (…)

Qu’est-ce qui pourra mettre fin à cela ? Quand une majorité d’Américains, encore de centre-gauche et de centre-droit, se rassembleront et ne voteront que pour des législateurs qui auront le courage de demander que cela cesse, maintenant, immédiatement, et pas seulement lorsqu’ils partent à la retraite ou sur leur lit de mort. »

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