Finalement, ce ne sont pas les emplois que les robots détruisent, mais les augmentations de salaires

Une étude de la Brookings Institution explique pour partie pourquoi les salaires continuent de stagner dans les pays occidentaux, en dépit d’une situation de quasi-plein-emploi inédite depuis des décennies. Elle conclut à un partage différent des bénéfices issus des gains de productivité depuis les années 1980.

“Si les machines produisent tout ce dont nous avons besoin, le résultat dépendra de la manière dont les choses sont distribuées. Tout le monde pourrait bénéficier d’une vie de loisirs luxueux si la richesse produite par les machines était distribuée, ou la plupart des gens finiront désespérément pauvres si les propriétaires des machines réussissent à faire pression contre la distribution de richesse. Pour le moment, la tendance semble aller vers la seconde option, et la technologie mène à des inégalités toujours grandissantes”.

Ainsi répondit le professeur Stephen Hawking, décédé la semaine dernière à l’âge de 76 ans, lorsqu’on lui avait posé une question sur le chômage lié à l’automatisation des postes de travail. Son analyse s’avère étonnamment percutante à l’aune des résultats d’une étude de l’Institution Brookings publiée la semaine dernière.

Pas de destruction d’emplois nette…

Bien que l’automatisation contribue à créer plus de richesse, et qu’elle n’ait finalement pas réduit le nombre des emplois, les travailleurs ne profitent pas des gains de richesse correspondants, expliquent David Autor, Professeur du Travail au M.I.T., et sa collègue Anna Salomons, de l’Université d’Utrecht, qui ont réalisé cette étude.

Ainsi, dans les secteurs où l’automatisation a permis de réaliser des gains de productivité importants (la production textile, la construction automobile, la chimie…), le nombre d’emplois a baissé, ou est resté stable sur une période d’un demi-siècle. Mais ces gains de productivité ont mené à des baisses de prix, qui ont en retour amélioré le pouvoir d’achat des citoyens, et augmenté la demande pour de nouveaux biens et services. D’autres secteurs en ont profité, ce qui a créé des emplois.

 …Mais une masse d’emplois précaires

Le problème, c’est qu’une grande partie de ces emplois ont été des emplois de services précaires et/ou mal rémunérés (dans les restaurants, le nettoyage, les services de sécurité, et le soins de santé à domicile, notamment). On pense par exemple aux emplois de la “gig economy”, ou “économie des petits boulots” (proposés par des firmes telles qu’Uber, Deliveroo…) qui exigent plus de flexibilité, mais moins de compétences.

Les possesseurs du capital s’accaparent les fruits des gains de productivité

La répartition des bénéfices de la production de biens et de services a commencé à évoluer en faveur des détenteurs de capitaux, au détriment des travailleurs, sans que les chercheurs comprennent bien pourquoi. L’automatisation aurait ainsi pour effet de redistribuer les revenus vers les propriétaires des machines, les possesseurs du capital.

Ainsi, les revenus totaux des 28 secteurs des 18 pays étudiés par les chercheurs ont augmenté de 20 % entre 1970 et 2007. Mais les revenus des employés (en bleu ciel sur le graphique ci-dessous) n’ont augmenté que de 13,5 % à la même époque, contre 32 % pour les revenus des chefs d’entreprise, et les actionnaires (en vert sur le graphique).

Et ce phénomène n’est pas si récent, puisqu’il remonterait à la fin des années nonante du siècle dernier, et au début de ce millénaire. Dans les années septante, les gains de productivité liés à la technologie étaient répercutés sur les salaires des travailleurs.

Il faut  s’inquiéter de la qualité des emplois maintenus, plutôt que des destructions d’emplois 

Selon le professeur Autor, nous nous focalisons de manière inappropriée sur le nombre et le type des emplois qui seront détruits par la révolution de la robotisation. En réalité, ce qui compte, c’est la capacité des emplois créés ou maintenus à assurer un niveau de vie décent, et quels groupes de personnes y ont accès. À ce propos, il apporte les précisions suivantes :

  • Les emplois créatifs, épanouissants, enrichissants et bien rémunérés n’auront jamais été aussi nombreux.

  • Mais la catégorie qui augmente le plus rapidement est celle des emplois peu qualifiés, précaires, mal rémunérés, et ne conférant pas un niveau de vie décent dans les services et l’économie du partage.

“On pourrait donc dire d’un côté, “Génial, il y a beaucoup d’emplois”. Mais d’un autre côté, ces emplois ne sont pas ceux que nous aurions voulu avoir. Je pense donc que la question devrait plutôt se poser en termes d’avantages comparatifs pour la main d’oeuvre humaine, dans un monde de plus en plus automatisé”, commente le professeur Autor

Les emplois qualifiés seront-ils encore longtemps à l’abri ?

Pour le moment, la révolution de l’automatisation a surtout profité aux travailleurs qualifiés, qui ont bénéficié d’augmentations de salaires, avaient constaté des scientifiques de l’Université de Californie qui s’étaient intéressés l’année dernière aux écarts de rémunération entre la main-d’œuvre qualifiée et la main d’œuvre  non qualifiée depuis le XIIIe siècle en Grande-Bretagne. Mais ils avaient souligné que cet état de choses était tout à fait inhabituel au regard des précédents de l’histoire, et que cela pourrait n’être qu’un phénomène de courte durée. L’intelligence artificielle devrait bientôt se substituer à des emplois de cols blancs. L’économiste Ken Rogoff estime que la hausse des salaires proposés aux ingénieurs informatiques très prisés de la Silicon Valley conduira certainement à inciter leurs employeurs à les remplacer par des robots.

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