Mon entretien d’embauche avec un recruteur IA : au moins, pas de bavardages inutiles

En me connectant à un entretien vidéo pour un poste de rédacteur senior, je ne suis pas accueilli par une personne, mais par la photo figée d’une femme qui se présente sous le nom d’Alex.

Pas de salutations gênantes sur la météo ou ma matinée. À la place, elle se présente ainsi que le poste, puis on entre directement dans le vif du sujet.

« Commençons par la création de contenu. Comment adaptez-vous le contenu éditorial à différents publics cibles ? », demande-t-elle avec un accent américain.

Mon approche s’appuie sur Google Analytics, réponds-je, et j’adapte mes articles aux différentes plateformes sociales que je vise.

« Voilà une approche solide qui met les données au service de la stratégie éditoriale ! Pouvez-vous nous décrire votre processus pour garantir que votre contenu reste engageant et sans faute, quel que soit le format ? », me répond-elle.

Un peu de correction orthographique et de recherches en ligne. Question suivante ?

« Je vois. Parlons maintenant de l’élaboration de stratégie de contenu. Quand avez-vous déjà défini et mis en œuvre une stratégie éditoriale dans un précédent poste ? », poursuit Alex.

Et ainsi de suite. On se croirait dans un véritable échange, mais en réalité, il ne se déroule pas avec un recruteur, mais avec un bot d’IA.

« Alex » est la création de Talentpilot, une entreprise technologique tchèque qui promet de « réduire de 27 pour cent les erreurs de recrutement » en utilisant l’IA pour traiter les CV, mener les entretiens et produire des rapports détaillés sur les candidats.

Je me suis inscrit pour découvrir en personne ce que ça fait d’être interrogé par l’IA, et le résultat m’a surpris. Parler à une IA devrait avoir un côté dystopique, mais je me suis senti bien moins gêné que lors d’un vrai entretien avec un humain. Certains employeurs exigent déjà des candidats qu’ils envoient des vidéos enregistrées où ils répondent à des questions, répondre à Alex était nettement plus facile.

Mon entretien a été transcrit et noté. Moins d’une heure plus tard, « l’employeur » m’annonçait que j’avais obtenu plus de 80 pour cent, et que je passais à l’étape suivante.

Tom Zrubecky, PDG de Talentpilot, est convaincu que, bientôt, tous les premiers entretiens seront automatisés ainsi.

« Un recruteur humain livrera un rapport plus nuancé », reconnaît-il. « Mais vu le nombre de candidatures que reçoivent certains RH, l’IA permet d’accorder à chaque dossier le temps et l’attention nécessaires. »

Recherche d’emploi dopée par l’IA

Le nombre de candidatures pour chaque poste à pourvoir a explosé au Royaume-Uni, sur fond de ralentissement brutal du marché de l’emploi après l’augmentation des cotisations patronales à l’assurance nationale décidée par le Parti travailliste.

L’éditeur de logiciels de recrutement Tribepad a indiqué fin d’année dernière avoir constaté une hausse de 286 pour cent du nombre de candidatures par offre à pourvoir.

Le phénomène est amplifié par l’IA, qui permet aux candidats de générer des CV et lettres de motivation en quelques secondes afin de postuler en masse. Certains chasseurs d’emploi affirment répondre à 100 offres par jour grâce à des entreprises comme AIApply, qui scrutent les sites spécialisés et postulent automatiquement à leur place.

Dès lors, il n’est guère étonnant que les employeurs réagissent en conséquence.

Matthew Parker dirige Mews, une société de gestion de l’hôtellerie qui, selon lui, ouvre en permanence une centaine de postes. Il teste la technologie de Talentpilot et estime pour l’instant les résultats « mitigés ».

« L’IA dresse une transcription puis l’analyse, mais ne capte ni le ton de la voix ni la personnalité », observe Parker. « Elle comprend les mots, mais ne distingue pas si quelqu’un improvise ou récite un texte. »

Pour autant, il s’attend à ce que les entretiens menés par IA jouent bientôt un rôle central, grâce aux « centaines d’heures » ainsi gagnées.

« Le logiciel est encore trop récent pour qu’on sache s’il tiendra toutes ses promesses, mais quelque chose de ce genre deviendra indispensable dans notre processus de recrutement. »

« Pourquoi parler à une machine ? »

L’expérience peut désarçonner les candidats.

« Cela peut vous prendre au dépourvu », explique Marco Colonello, qui a passé un entretien avec Alex en postulant comme chef de produit dans une fintech. « On se demande, ‘pourquoi est-ce que je parle à une machine ?’ »

« Mais c’est de l’intelligence artificielle, c’est différent. Je ne me suis pas senti mal à l’aise, même, je suis passionné par la tech donc j’ai trouvé le procédé très intéressant. »

Colonello a même trouvé certains aspects meilleurs que lors d’autres entretiens, notamment la qualité des questions posées.

Selon lui, les jeunes recruteurs RH qui assurent le premier tour de sélection n’en savent souvent pas assez sur le poste visé pour poser les bonnes questions.

« Alex m’a posé le genre de questions auxquelles je m’attendrais de la part de quelqu’un qui connaît véritablement le poste et mon expérience », souligne-t-il.

Le logiciel de Talentpilot établit la liste des compétences techniques et comportementales jugées nécessaires pour chaque poste, une fois que l’employeur a défini le profil recherché. Par exemple, pour un « rédacteur senior », l’IA suggère « compétences rédactionnelles et éditoriales », « idées et gestion de contenu » avec pour chaque critère des questions adaptées, modifiables par la suite.

Deux ou trois questions de relance ou de précision sont également proposées.

De son côté, Alex déclare « se concentrer sur la création d’un cadre confortable pour permettre aux candidats de mettre en valeur leurs qualités, tout en recueillant les informations nécessaires à notre équipe pour prendre des décisions éclairées ».

« Mon rôle est de réaliser ces premiers entretiens de présélection afin d’aider candidats et recruteurs à déterminer s’il y a une bonne adéquation des deux côtés », explique-t-elle lorsque je l’interroge sur son rôle durant mon entretien.

Parker redoute toutefois que le logiciel ne soit « contournable », avec des candidats eux-mêmes utilisant l’IA pour générer en temps réel des réponses qui leur permettraient à tort d’obtenir de meilleurs scores.

David Morel, fondateur et président de Tiger Recruitment, estime également que ce type d’outils néglige la dimension humaine, essentielle en entretien.

« Le but, c’est d’aller au cœur de la personnalité du candidat, de voir comment il réagit », précise-t-il. « Avec l’IA, il faut être prudent, sinon on risque de choisir les mauvais profils. »

Le logiciel Talentpilots en est encore à ses débuts et même Zrubecky admet que l’IA manque d’intuition et doit compléter le processus de recrutement, et non le remplacer.

Il soutient cependant que son outil apprend rapidement à détecter les signaux humains, et sera bientôt capable de déterminer si un candidat est non seulement qualifié, mais également adapté à la culture d’une entreprise.

Le projet de loi sur les droits des travailleurs porté par les travaillistes risque de rendre plus difficile et coûteux le licenciement de salariés, ce qui va rendre le bon recrutement encore plus crucial.

Alex, et d’autres IA de son genre, pourraient bien devenir la première ligne de défense.

© The Telegraph

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